Dans un fait sans précédent, le 9 décembre, dans le cadre de la journée internationale des droits humains, quatre Communautés paysannes colombiennes ont décidé de ne plus reconnaître la légitimité du système judiciaire colombien, se déclarant en rupture ouverte avec l’administration judiciaire, qu’elles qualifient notamment de ’corrompue’ et de ’dégradée’. Elles se basent notamment sur l’article 18 de la Constitution colombienne qui affirme que "personne ne peut être obligé d’agir contre sa conscience" (objection de conscience).
Ces communautés paysannes ont constitué en septembre dernier un réseau appelé "Comunidades en resistencia y ruptura" (RECORRE)dont font initialement partie :
San José de Apartadó
Consejo Comunitario la Nupa RÃo CaunapÃ
Asociación Campesina de Arauca
Asociación Campesina del Valle del Cimitarra
Proceso de Comunidades Negras
Comunidad de Vida y Trabajo La Balsita
Consejo Comunitario del rÃo Naya
Fedeagrobisbol (Sur de BolÃvar)
Comunidad U’wa
Asociación Campesina IndÃgena del Norte de Cauca
Ce réseau vise notamment à développer la solidarité entre communautés, l’échange d’informations sur la violation des droits humains et sur leurs résistances respectives.
Lisez leur déclaration (español)
Lisez leur proposition (español)
Pour les contacter : red_comunidades@yahoo.es
Ci-dessous, vous pouvez lire un reportage de John Ludwick (Noticias Aliadas, 09-12-03) pour comprendre ce que vivent ces communautés ...
Colombie : Communautés en résistance
Des communautés s’organisent pour résister à la violence et survivre économiquement.
Javier Sánchez dit que c’est un miracle qu’il soit vivant. Le 8 juillet 2000, alors qu’il rentrait de son travail dans les champs, 15 paramilitaires fortement armés et masqués pénétrèrent dans La Unión, petit village stratégique de 500 personnes dans la région nord-ouest d’Urabá, à la frontière du Panamá. Il se souvient avoir vu un petit hélicoptère tournoyer au-dessus du village avant d’entendre le crépitement de fusils automatiques.
Sánchez, 32 ans, rentra précipitamment au village et trouva les cadavres de six hommes, tous leaders de la communauté, étendus sur la place centrale. "C’est un miracle, parce que si j’avais été présent, il est sà »r qu’ils m’auraient fusillé moi aussi", dit-il. Les leaders locaux - Sánchez est l’un d’entre eux - sont fréquemment la cible d’attaques militaires et paramilitaires.
Beaucoup de villages semblables émaillent la carte de l’histoire contemporaine de la Colombie : des villages harcelés par la violence politique et la peur. Ce qui rend particulier ce massacre, c’est que La Unión fait partie de la Communauté de Paix San José Apartadó, une parmi les dizaines que compte le pays et qui ont choisi de s’organiser et de résister aux forces obscures de la guerre civile qui dure depuis des décennies.
Plusieurs de ces communautés se sont récemment rassemblées à San José Apartadó pour partager leurs expériences, manifester leur solidarité et développer des stratégies qui les aideront, espèrent-elles, à faire face à la violence politique. Après que la localité ait été dévastée par des attaques en 1997, ses habitants ont organisé et rallié un soutien international pour qu’on leur concède un statut spécial en tant que communauté de paix.
Il existe de nombreuses formes de résistance non violente organisée en Colombie, déclare Diego Pérez, chercheur à la Banque de Données des Droits de l’Homme et de la Violence politique, mais ce qui les unit, c’est le désir de demeurer neutres dans le conflit et de n’avoir de contact avec aucun groupe armé, y compris avec les forces de sécurité de l’État (Noticias Aliadas, 24 janvier 2000).
Pérez déclara que cette résistance signifiait pour une part défendre ses territoires contre des intérêts économiques, parce que "le conflit n’est pas seulement lié aux acteurs armés qui attaquent les communautés, mais au désir de certains d’exploiter les ressources naturelles et la riche biodiversité de leurs terres".
La population indigène de Colombie a mieux réussi que les paysans et les afrocolombiens à demeurer ferme face aux groupes armés, grâce pour une part à sa capacité à s’organiser, dit Pérez. Cependant, les indigènes colombiens ont payé cher leur opposition.
Le peuple Nasa du haut bassin du fleuve Naya, dans le département de Cauca, au sud-ouest, en est un exemple. Le 11 avril 2001, une centaine d’hommes armés identifiés comme paramilitaires sont entrés dans cette zone reculée, ils tuèrent et firent disparaître une cinquantaine d’indigènes.
En dépit de ce revers sanglant et d’autres encore, la communauté Nasa s’est arrangée pour obtenir d’importants succès, au nombre desquels sa reconnaissance comme juridiction spéciale indigène grâce à laquelle elle jouit d’une certaine autonomie politique et contrôle son propre système judiciaire.
Le leader Nasa José Enrique Güetio affirme que le renforcement des modes de vie traditionnels et le rejet de nombreuses coutumes que le monde extérieur prétendait leur imposer ont été cruciaux pour obtenir ces succès.
"Nous avons réalisé un processus d’organisation qui nous a permis de créer les espaces protégés (les réserves), les conseils municipaux, et nous sommes en train de sauvegarder notre propre enseignement, notre propre langage", dit-il. "Cela nous a été bien utile, davantage que ce qui vient de la culture occidentale".
Dans tous les cas, la résistance nous a obligé à trouver les moyens créatifs et pratiques de faire face aux différentes tactiques utilisées pour intimider la population locale et au bout du compte la soumettre et la déplacer. En plus des menaces, des tueries et des assassinats sélectifs, toutes les bandes utilisent une autre stratégie commune : les blocus économiques qui visent à affamer une population, en l’empêchant de vendre ses produits sur le marché, pour l’isoler et la rendre vulnérable.
Pour contrecarrer ces actions, de nombreux groupes ont donné la priorité aux "économies de résistance" qui incluent dans leurs objectifs d’assurer l’autosuffisance alimentaire et d’établir des liens commerciaux avec les localités voisines.
Les communautés du Bajo Caguán, situées dans l’ancienne zone démilitarisée du centre-sud de la Colombie qui fut cédée en 1998 aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) pour entamer un processus de paix, ont dà » adopter de semblables mesures pour assurer leur survie dans la région. Depuis février 2002, quand Andrés Pastrana, le président d’alors (1998-2002), a annoncé l’échec du processus de paix et qu’en conséquence l’Armée a repris le contrôle de la zone (Noticias Aliadas, 11 mars, 2002), tant les paramilitaires que les officiers de l’Armée ont traité les habitants de collaborateurs de la guérilla. Il en a résulté des dizaines d’assassinats, des arrestations arbitraires massives et le déplacement forcé de plus de 5.000 personnes provoqué en grande partie par l’embargo économique imposé par l’Armée et les paramilitaires.
Edilberto Chávez, de la zone de Peñas Coloradas dans le Bajo Caguán, dit que les communautés de sa région ont appris les dures leçons de leurs voisins et se sont préparées à contrecarrer les blocus économiques. En plus d’encourager les cultures alimentaires de base comme le riz et d’autres céréales, ils ont privilégié la production de dérivés de la canne à sucre et la fabrication à des fins commerciales de confitures de fruits régionaux.
"En cas de blocus nous ne restons pas isolés, et nous ne sommes pas contraints d’endurer la faim et pour cette raison d’abandonner nos terres, parce que c’est là une des stratégies dont ils font usage", dit Chávez.
Source : Noticias Aliadas, 09-12-03.
Traduction : Hapifil, pour RISAL.