L’île caribéenne de la Hispaniola bouillonne. Alors que la république haïtienne célèbre le bicentenaire de son indépendance au beau milieu d’une très profonde crise politique, les secteurs populaires de la République dominicaine se mobilisent contre les politiques ’fondomonétaristes’ de leur président, de plus en plus contesté.
Peu de gens le savent ou s’en souviennent, mais c’est en République dominicaine, en avril 1984, qu’eut lieu l’un des premiers soulèvements anti-Fonds monétaire international (FMI). Deux ans après la signature d’un accord entre le gouvernement Blanco et l’institution financière, les classes populaires, devant l’aggravation de la situation sociale, s’étaient rebellées. Une rébellion réprimée dans le sang. Plus d’une centaine de personnes y avaient perdu la vie.
Un tel rappel historique ne tient pas seulement de l’anecdote, mais doit servir à garder en mémoire une des manières par lesquelles les ajustements structurels [1] sont imposés contre la volonté populaire aux pays du Sud. Un tel rappel est d’autant plus d’actualité que la République dominicaine vient de connaître deux jours de grève générale, les 28 et 29 janvier, massivement suivie et accompagnée de manifestations fortement réprimées, épisodes de plus d’une grave crise que traverse le pays depuis plusieurs mois maintenant.
L’origine de la crise
Selon Pedro Franco, « les organismes multilatéraux et les diverses agences et institutions liées à l’application de politiques néo-libérales ont tenu durant plusieurs années le discours selon lequel la République dominicaine possédait un bas taux d’endettement externe, une grande stabilité économique, (…) ce pourquoi ils lui conseillèrent non seulement l’endettement extérieur, la suppression des barrières douanières pour donner le champs libre aux accords de libre échange et (…)la privatisation du grand patrimoine d’entreprises publiques (…)  » (Alai, 29-01-04). Les gouvernements successifs ont fidèlement appliqué les recommandations des bailleurs de fonds internationaux faisant plonger des milliers de Dominicains dans la misère.
L’époque où les indicateurs économiques faisaient de la République dominicaine un des pays les plus stables économiquement parlant des Amériques est révolue. Durant les années 90, le pays a bénéficié d’un haut taux de croissance économique, avec une progression moyenne du Produit intérieur brut [2] (PIB) de 6%. Le secteur touristique et les zones franches industrielles [3] y contribuant largement. En 2003, le PIB a chuté de 1,3 % [4] L’inflation a grimpé drastiquement à plus de 40% - la plus élevée d’Amérique latine. La hausse démesurée des prix et la dévaluation accélérée du peso dominicain explique en grande partie le succès de la grève générale, la seconde en trois mois, et l’appui dont elle a bénéficié dans toutes les classes sociales.
Point d’orgue de la crise que traverse le pays : le 13 mai 2003, le gouverneur de la Banque centrale révélait aux pays le contenu d’un rapport élaboré par des représentants du FMI, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Banque mondiale avalant la commission [5] d’une fraude spectaculaire de la Banque Internationale (BANINTER) . « La crise bancaire qui éclata au cours du second trimestre provoqua une forte vague d’incertitude et de méfiance, une croissante dollarisation et une fuite de capitaux considérable.  » (CEPAL, ibid). Pour contenir la détérioration du système financier et sauver les banque touchées par la crise, les pouvoirs publics injectèrent d’énormes ressources, d’où l’augmentation de la dette publique. Elle représentait 20,9% du PIB en 2002 et est passée à 47,9 en 2003 (CEPAL, ibid).
Autre constante de la politique gouvernementale de ces dernières années : la privatisation du patrimoine public. « En quelques années, l’Etat est parvenu à vendre l’essentiel de ses sociétés (…) tout en doublant, en deux ans, la dette externe du pays.  » (Le Courrier, 22-08-03). Des privatisations aux conséquences bien connues : licenciements, abandon des infrastructures et des programmes sociaux. « Aujourd’hui, le gaz est devenu un produit de luxe, l’eau et surtout l’électricité font le plus souvent défaut. Depuis la privatisation de l’électricité en 1998, les hausses de prix du courant et les apagones (coupures) sont devenus la hantise des habitants, ceux-ci pouvant être privés d’électricité durant plus de dix heures  ». (Le Courrier, 22-08-03) Le pays a d’ailleurs connu de nombreuses manifestations anti-apagones. En 2002, quelques 50 personnes avaient été tuées dans de telles protestations.
Pour un moratoire sur la dette
« Cette période difficile arrive à son terme, car dans les prochains jours, nous commencerons à recevoir les crédits en dollars de l’assistance financière provenant des accords avec le FMI  », affirmait, durant le conflit, le président de la République Hipólito MejÃa. (http://www.elcaribe.com.do/)
En effet, le 29 aoà »t dernier, le FMI approuvait un stand by agreement avec les autorités dominicaines de 600 millions de dollars « pour soutenir le programme économique du pays  », avec à la clé la recette habituelle concoctée à Washington : augmentation du surplus fiscal primaire, réforme du système des impôts, vente du patrimoine public, etc. Les propos rassurants du Président sur les bienfaits de l’assistance financière du Fonds étaient vains. Cet accord est contesté par les organisations populaires depuis sa signature et son rejet faisait partie des revendications principales des grévistes qui exigent également un moratoire [6] sur le remboursement de la dette extérieure.
La seule réponse du gouvernement pour tenter d’imposer ses contre-réformes a été la répression. A la suite de cette grève, on dénombre 8 victimes et plus de 400 arrestations, dont celles de dirigeants populaires comme Ramon Almanzar, leader de la coalition Unité du Peuple, regroupant 11 organisations de gauche et candidat aux prochaines élections présidentielles. Pour justifier une telle répression, Pedro Franco Badia, secrétaire d’Etat aux Affaires intérieures, s’est fendu d’une déclaration des plus culottées : « Nous essayons d’éviter un attentat contre ces dirigeants populaires  ». Les défenseurs du Consensus de Washington [7] ne savent décidément plus quoi inventer pour justifier par tous les moyens l’imposition de politiques contestées massivement dans toutes les Amériques.
[1] Politique économique imposée par le FMI en contrepartie de l’octroi de nouveaux prêts ou de l’échelonnement d’anciens prêts.
[2] Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
[3] Zone franche industrielle : zone géographiquement circonscrite dans laquelle les industriels qui produisent pour l’exportation n’ont pas à payer de droits sur les facteurs de production qu’ils importent et à laquelle ne sont pas applicables, souvent, certains éléments de réglementation nationale. (source : Banque mondiale)
[4] « La contraction de 1,3% de l’activité économique en 2003 a provoqué une chute de 2,9% du produit par habitant, un résultat sans précédent depuis d’une décennie.  »
CEPAL, Balance preliminar de las economÃas de América Latina y el Caribe, 2003, www.cepal.org/.
[5] Commission est un terme juridique qui indique "commettre une faute, commettre un délit...  ». En droit pénal on utilise le terme "commission d’un délit".
[6] Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir. Un moratoire peut également être décidé par le débiteur.
[7] Le « Consensus de Washington  » : http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/consensuswashington
Article écrit pour la revue trimestrielle ’Les Autres Voix de la Planète’ du Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM), février 2003.