Seconde phase du Plan Colombie en préparation
Équateur : les forces armées des États-Unis consolident leur présence
par Carlos Fazio
Article publié le 8 février 2004

Silencieusement et sans tirer un seul coup de feu, le Pentagone consolide son occupation militaire de l’Équateur. L’installation accélérée de bases militaires, d’un centre d’espionnage, en plus de l’entraînement d’unités contre-insurrectionnelles, est le signe précurseur du déclenchement (pour les premiers mois de 2004) de la seconde phase du Plan Colombie : une intervention multinationale contre les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC-EP) et l’Armée de libération nationale (ELN).

Les bases navale et aérienne de Manta, en Équateur, sur la côte, àune heure de vol de la frontière colombienne sont sous la juridiction exclusive de Commandement Sud (SouthCom) des forces armées états-uniennes. Manta est un centre de commandement de la marine et de l’aviation, dirigeant des opérations clés des mercenaires de la Dyncorp - une société privée sous-traitante au service du Pentagone, elle gère l’installation - en cours de construction - de trois centres de logistique dans les provinces de Guayas, Azuay et Sucumbíos, ainsi que la militarisation de la police bénéficiant d’une formation « anti-terroriste » par le FBI.

Les visites de ce pays des Andes par le général Wendell L. Griffin, directeur de la planification et de la stratégie de SouthCom (depuis fin octobre) et de Otto Reich, envoyé spécial pour les affaires de l’hémisphère occidental, semblent indiquer que Washington accélère les préparatifs pour déclencher des escarmouches sur le territoire colombien. L’Équateur, avec l’autorisation subordonnée du président Lucio Gutiérrez - un ancien colonel expérimenté - jouera un rôle analogue àcelui de l’Honduras pendant la guerre de Reagan contre les sandinistes au Nicaragua, àsavoir celui d’un porte-avions états-unien dans le cadre d’une guerre d’agression clandestine.

Manta, centre régional d’espionnage

Le SouthCom, un des cinq Commandements du Pentagone, est responsable d’une zone comprenant 19 pays latino-américains et des Caraïbes, exception faite de la Guyane française et du Mexique qui sont couvert par le Commandement Nord.

Entre 1903 et 1999, le quartier général du SouthCom se trouvait dans la zone du canal de Panama. Mais en vertu de l’accord Carter-Torrijos (1977), les États-Unis ont dà», le 31 décembre 1999, abandonner la Base Howard et un réseau d’installations gouvernementales (équipements de renseignements, radars et antennes satellites) dans ce pays et transférer le SouthCom àMiami en Floride.

À partir de 2000, le Pentagone a tracé un nouveau schéma de contrôle militaire sous-régional au moyen de « postes opérationnels avancés  » (Forward Operating Locations - FOL) utilisant des bases terrestres et marines àComalapa (Salvador), Aruba, Curaçao et Manta. Les FOL ont été conçues comme des centres de « mobilité stratégique » et de « force décisive » pour appuyer des attaques de type blitzkrieg des forces aéroportées àdéploiement rapide.

En juillet de cette année (2003), la base militaire de Manta est devenue le centre principal d’espionnage électronique en Amérique du Sud, aidé par la technologie satellitaire du Pentagone. Des avions espions Orion C-130 partent en mission quotidiennement de Manta. Actuellement la base abrite 162 officiers états-uniens et 231 employés (presque tous des anciens soldats) de la multinationale Dyncorp basée àReston, en Virginie, quartier général du Pentagone.

Dyncorp, une entreprise états-unienne, qui en 2002 a fait $10.000 millions de profit, sert au Pentagone, dans le cadre du Plan Colombie, de sous-traitant pour la fumigation. (cultures illégales de coca) Dyncorp gère aussi les services logistiques et administratifs (la maintenance et le support technique de l’aviation), et offre des services de technologie informatique àla base de Manta. Selon le colonel Jorge Brito, stratège militaire équatorien, les contractants de Dyncorp en Colombie et àManta - ceux qui jouissent d’immunité diplomatique - sont tous actifs dans l’espionnage. « Ils peuvent réaliser des activités de renseignement stratégique ou opérationnel, simplement en s’habillant en civil. Je parle d’activités opérationnelles parce qu’ils se déplacent tranquillement dans tout le territoire, et stratégiques parce qu’ils ont accès aux données de planification militaire. »

L’existence d’une convention de fonctionnement « confidentielle » qui facilite l’exécution de projets entre Dyncorp et le Directoire des industries aéronautiques de l’Armée de l’air équatorienne, a été publiquement révélée en novembre. Selon des sources militaires, citées dans le journal El Comercio de Quito, cette convention n’était ni connue par le Conseil national de la défense, ni par son ministre. La situation exposerait éventuellement l’existence de personnel en uniforme influencé par le Plan Colombie et la politique régionale du Pentagone, parmi la classe gouvernante locale.

Cet accord controversé, qui a contourné l’approbation du congrès, accrédite les soldats de SouthCom et les contractants, très occupés, de Dyncorp, en Équateur, comme membres de la mission diplomatique étasunienne dans le pays. Mis àpart le bénéfice de l’immunité, les employés de Dyncorp ne paient ni taxes ni impôts, utilisent des véhicules sans plaque d’immatriculation et ne peuvent être jugés que par des tribunaux états-uniens en cas de problèmes de légalité.

La frontière chaude du Putumayo et de Sucumbíos

Quand le général Wendell L. Griffin était en Équateur les 17, 18 et 19 octobre, il a visité Quito et Manta dans des conditions de stricte sécurité. Il a été aussi transporté àNew Loja, àSucumbíos, où il a été salué par le colonel Ernesto Gonzalez, commandant de la 19ème Brigade de jungle de Napo. Une fois là, àla frontière chaude de l’Amazonie qui touche la région colombienne de Putumayo, contrôlée par les FARC-EP, il a revêtu un uniforme de camouflage vert et a salué le chef de la IVe Division de l’Armée équatorienne, le général Gustavo Wall.

Le 5 septembre dernier, le ministre des Affaires étrangères, Patricio Zuquilanda, a signé un accord secret avec l’attaché commercial des États-Unis àQuito, Arnold Chacón, offrant au SouthCom la possibilité de construire et de gérer trois centres de stockage pour porter assistance aux populations affectées par les désastres naturels causés par « El Niño ». Un d’eux sera situé dans la province de Guayas, près de l’Océan Pacifique, un autre àAzuay, dans les Andes et le troisième àSucumbíos. Selon des anciens ministres équatoriens et membres du Congrès, ces accords violent la constitution nationale.

Miguel Morán, dirigeant du mouvement Tohalli, déclarait : « L’Équateur est déjàune base états-unienne, ce n’est pas seulement Manta. Ils ont inauguré sept détachements militaires en Amazonie et veulent maintenant des ports clés (…) La construction de centres de logistique n’est qu’un écran de fumée pour dissimuler l’activité militaire.  »

Le rôle de l’Équateur comme porte-avions états-unien au cœur de l’Amérique latine, avec en vue la seconde phase du Plan Colombie, s’est renforcée après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 àWashington et àNew York.

Depuis, le nombre d’agences de sécurité, le budget, les soldats et les « contractants » assignés par les États-Unis àl’Équateur ont augmenté. En 2001, Washington a alloué $2 millions àson ambassade de Quito. L’année dernière, le montant a grimpé à$25 millions et en 2003 à$37 millions. La police était le principal bénéficiaire de l’enveloppe décrite comme « assistance non militaire.  »

Washington compte sur sept agences de sécurité en Équateur : défense (DAO), anti-drogue (DEA), aide militaire (MAAG), sécurité intérieure, sécurité nationale (NSA), l’Agence états-unienne pour le développement international (USAID) et le Peace Corps. Ces deux derniers ont traditionnellement été utilisés pour couvrir les actions secrètes de la CIA. En plus de ces agences, le Commandement Sud dirige ses propres activités indépendamment des toutes les autres agences.

L’Équateur est maintenant militairement prêt. Il aura une fonction clé dans l’objectif de la Maison Blanche de régionaliser le conflit colombien. Comme ancien ministre des Affaires étrangères équatorien, Alfonso Barrier, dit : « le conflit est entré dans notre pays par la fenêtre ». Barrier a demandé au président équatorien Lucio Gutièrrez, de jouer un rôle plus indépendant par rapport àWashington. Et met également en garde : « Les États-Unis ne sont pas tendres envers ceux qui manifestent leur soumission.  »

Traduction de l’espagnol : Editions Démocrite.

Source : La Jornada, 02-01-04.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).
RISAL.info - 9, quai du Commerce 1000 Bruxelles, Belgique | E-mail : info(at)risal.info