La terreur antisyndicale ne faiblit pas en Colombie
par Benito Pérez
Article publié le 2 mai 2004

LUTTE SOCIALE - En Colombie, le 1er Mai donne lieu àd’importantes mobilisations. L’occasion de se rassembler et de rompre le climat de peur que font régner les paramilitaires : tous les cinq jours, ces milices abattent un syndicaliste. Témoignage.

Près de deux cents syndicalistes colombiens tués en 2002 ; c’en était trop... pour l’image du pays ! En pleine négociation avec les groupes paramilitaires - principaux assassins de militants sociaux - le gouvernement colombien d’Alvaro « Main dure » Uribe tente de freiner ces statistiques effrayantes. En 2003, les victimes ne se seraient comp-tées « qu »’en dizaines, selon diver-ses sources [1]. Mais « simultanément àcette diminution, les enlèvements, les menaces et autres for-mes de violence sont àla hausse », prévient Victor Baez, secrétaire gé-néral de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) pour l’Amérique latine. A en croire le Paraguayen, la répression en Colombie serait « en train de changer de visage », même si elle demeure fondamentalement violente. De passage àGenève àl’invitation de la Communauté genévoise d’action syndicale, le Colombien Alfredo Quesada sait de quoi il en retourne. Ce dirigeant de la fédération Funtraenergetica, particulièrement active dans les secteurs des mines, de l’énergie et de la chimie, a dà» quitter, avec femme et enfants, sa maison de Barranquilla (Atlantico, nord-est), sous la menace des Au-to-défenses unies de Colombie (AUC). Une menace prise d’autant plus au sérieux que nombre de ses camarades peuplent les cimetières. Selon le rapport transmis par M. Que—sada àla Commission des droits de l’homme, dix-huit travailleurs affiliés àFuntraenergetica ont été assassinés depuis février 2001.

Affaiblir les travailleurs

Selon M. Quesada, cette vague de répression exprime une « politique parfaitement consciente visant àaffaiblir les organisations syndicales ».
L’exemple de Sintramienergetica est patent. Syndicat de l’industrie minière et énergétique, cette organisation, àlaquelle collabore M. Quesada, a compté jusqu’à6.000 affiliés. C’était au début des années 1990. Avant que ne débute l’ère des intimidations systématiques, des licenciements, des menaces et même des assassinats. « Il y a six ou sept ans, Sintramienergetica ne représentait plus que 1.500 travailleurs », se souvient le militant colombien.

A force d’obstination, le syndicat a remonté la pente. De nouvelles implantations dans les secteurs gazier et carbonifère lui permettent d’afficher aujourd’hui quelque 4.000 affiliés. Mais ce développement s’est fait au prix d’une seconde vague de violences. Sur les 2.000 travailleurs recrutés àDrummond Coal - société étasunienne d’extraction de charbon - trois ont été exécutés par les paramilitaires en 2001. Et pas n’importe lesquels : deux présidents successifs et un vice-président de Sintramienergetica [2] ... L’affaire, qui a eu pour théâtre le gigantesque site minier de La Loma (département de César, nord-est), a été portée devant une cour étasunienne. Celle-ci, dans deux décisions successives, a admis une possible complicité de l’entreprise. Le syndicaliste reste prudent : « Bien sà»r, nous suspectons que beaucoup de firmes financent et utilisent les paramilitaires. Nous avons de nombreux indices. Mais pas de preuves. »

Tête mise àprix

Si les meurtres ont cessé depuis, les intimidations physiques se sont poursuivies. Ainsi en novembre dernier, la tête du leader syndical de Drummond, Jimmi Rubio, était mise àprix par les AUC : 500 millions de pesos pour se débarrasser du gêneur. Peu auparavant, deux employés de Drummond, David Vergara et Seth Cur, également négociateurs syndicaux, avaient disparu deux semaines durant, avant de réapparaître mystérieusement...

Pour Alfredo Quesada et sa famille, l’angoisse remonte àl’année précédente. Au 27 novembre 2002, précisément. « J’ai commencé àrecevoir des appels téléphoniques, puis àêtre suivi par des hommes armés et une moto », raconte-t-il. Une première plainte est déposée auprès du procureur, sans donner de résultat concret. En juin 2003, les intimidations s’intensifient : « Un employé d’une société de sécurité, dont le patron est un militaire lié aux paramilitaires, a été arrêté alors qu’il était venu pour me menacer. J’ai alors réactivé ma plainte. » Sans plus de succès : « Aucune enquête n’a été menée, aucune protection ne m’a été accordée », assure le dirigeant de Funtraenergetica. Les funestes avertissements reprennent àla fin de l’année et culminent dans une lettre surréaliste àen-tête des AUC. Le texte qualifie son syndicat de « séditieux » et l’accuse de « liens avérés » avec la guérilla des FARC. Surtout, le message tire le coup de semonce : « Nous vous informons que notre Bloc Nord a décidé de vous considérer comme un objectif militaire. » Dix jours lui sont donnés, àlui, àsa femme et àses cinq enfants, pour quitter sa « juridiction ».

Fuyant vers la capitale Bogota, la famille Quesada sollicite l’aide d’une multitude d’administrations. Elle n’obtient qu’un faible apport économique du ministère du Travail. Le syndicaliste demande aussi àbénéficier d’un « plan de sécurité », àl’instar d’un petit millier de militants colombiens menacés. De quoi s’offrir une voiture « même pas blindée » et deux ou trois gardes du corps. « Deux mois après ma demande, je n’avais toujours reçu aucune réponse... », se désole-t-il.

Dans l’impasse, fin mars, le militant saisit au vol une invitation au congrès de la CGT française, histoire de quitter momentanément le chaudron colombien et de sillonner l’Europe pour sensibiliser ses citoyens.

Son séjour, Alfredo Quesada le mettra aussi àprofit pour « bien réfléchir » àson avenir personnel. « Si je rentre en Colombie, je crains que ni moi ni ma famille ne vivions plus jamais en paix. La peur sera permanente. Pour l’instant je ne sais pas du tout ce que je vais faire. »

Notes :

[1La principale centrale colombienne - CUT - annonce 72 affiliés assassinés en 2003. Soit un tous les cinq jours... Pour sa part, Amnesty international parle de l’assassinat ou de la « disparition » d’« au moins 80 syndicalistes ».

Source : Le Courrier (http://www.lecourrer.ch, mai 2004.

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