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Dans le secteur 7 de Villa El Salvador (Lima, Pérou), un monument érigé à côté du terrain de football rend hommage à la dernière victime de la violence des bandes de jeunes. Dans cet endroit précis, il y a deux mois, l’habituelle « bagarre  » entre bandes rivales, avivée par la consommation de drogues et l’alcool, a eu la mort d’un jeune poignardé comme fatal dénouement. Il ne s’agit pas d’un cas isolé. L’histoire se répète dans tout le continent américain où les bandes trouvent dans la frustration et le manque de perspectives de futur pour les jeunes et les adolescents un terrain propice à leur propagation.
Au Pérou, le phénomène est relativement récent mais il a acquis en peu de temps des dimensions considérables. On calcule que, seulement à Lima, la capitale péruvienne, quelques 500 bandes sont actives qui totalisent 10.000 membres dont l’âge est compris entre 11 et 23 ans. A Villa El Salvador, ce chiffre dépasse à peine le millier mais il est suffisant pour terroriser les presque 400.000 habitants. « L’expression violente émane d’un groupe minoritaire, mais leurs actions ont des conséquences sur la vie quotidienne de la majorité des gens  », déclare Jaime Zea, maire de ce district de Lima.
Le gros de l’activité des bandes d’adolescents se concentre au cours des nuits du week-end quand les jeunes délinquants se réunissent en groupes de 15 ou 20 pour boire de l’alcool (du pisco mélangé à des sodas) et consommer de la drogue (de la marijuana et de la pâte de coca). Après ont lieu les bagarres, le vandalisme, les vols, les assauts et, dans le pire de cas, les assassinats. Encouragés par les stimulants, ils n’ont de compte à rendre à personne et personne n’ose les défier. Pas même les personnes chargées de veiller à la sécurité des citoyens qui sont souvent trop peu nombreuses et manquent de moyens. « La police n’intervient pas quand il y a une bagarre - raconte l’ex membre d’une de ces bandes José Carvajal, alias « Chavo  » - « parce que si l’homme chargé de patrouiller s’en mêle, les deux bandes qui se bagarrent se mettent d’accord pour se retourner contre lui.  »
Face à ce panorama, les autorités locales peuvent peu de choses pour combattre la violence juvénile, d’autant plus que les causes à l’origine de celle-ci vont bien au-delà de leurs compétences. Certaines sont bien connues : la violence et les abus dans le milieu familial, les pénuries économiques, le chômage, l’éducation défaillante, l’influence publicitaire ... D’autres ont quelque chose à voir avec le legs diffus des années de violence terroriste du Sentier lumineux. « Il y a quelques années, il n’y a avait pas de bandes, les « barras bravas  » (littéralement les « barres courageuses  » N .d .T.) sont apparues à mesure que le terrorisme cédait du terrain. On a assisté à une translation de cette violence  » explique Jaime Zea, conseiller municipal.
Un problème continental
Cependant, le problème au Pérou est loin d’être aussi grave qu’en Amérique centrale où les bandes, connues sous le nom de « maras  » (abréviation de « marabunta  » - allusion à une invasion de fourmis, N.d.T.), ont une tradition plus longue et plus violente. Au Honduras, au Guatemala et au Salvador, aux facteurs qui expliqueraient l’essor des bandes au Pérou (passé violent compris) s’ajoute la particularité que le phénomène a été importé (par l’immigration ou par les déportations) directement de leur lieu d’origine : les Etats-Unis. Là -bas, dans les banlieues de la ville de Los Angeles, les premières bandes sont apparues dans les années 70.
Si nous parlons chiffres, au Honduras par exemple, on estime qu’il existe environ 30.000 jeunes intégrés dans 500 bandes qui ont soumis le pays à un climat général d’insécurité. La réponse du gouvernement hondurien a consisté en le plan « Tolérance zéro  », adaptation du plan salvadorien « Main de fer  » et en sa version régionale émanant des déclarations conjointes contre les bandes juvéniles qui a été signée par les mandataires centraméricains. Il s’agit, en règle générale, de mesures répressives qui ne s’attaquent pas à la racine du problème et que certaines organisations de droits humains ont dénoncé comme étant des « techniques de contre insurrection  » propres à l’époque de la guerre froide.
Au Honduras, l’ONG Casa Alianza qui travaille avec des enfants des rues dans toute l’Amérique centrale, assure que plus de 2.200 jeunes de moins de 23 ans sont morts depuis 1998. Selon cette organisation, les corps de police sont à l’origine d’un pourcentage important de ces morts qui, dans 90 % des cas, ont eu lieu au sein des bandes de délinquants. Loin de scandaliser la population, ces abus commencent à être acceptés comme un moindre mal : un délinquant mort est un délinquant en moins.
Victimes ou bourreaux
La violence juvénile s’est transformée dans de nombreux pays américains en un problème de sécurité publique de premier plan, qui génère une forte mobilisation sociale. A l’heure de l’affronter, cependant, l’opinion est divisée entre ceux qui considèrent que les délinquants sont des victimes de la société et ceux qui les considèrent comme des bourreaux. Les réponses politiques sont souvent en accord avec cette dernière version mais il existe des initiatives locales qui proposent un travail plus orienté sur le long terme.
Sous le slogan « Un jeune avec un projet de vie est un délinquant en moins  », l’ONG péruvienne « Tierra de Niños  », en collaboration avec l’organisation espagnole « Ayuda en Acción  », a mis en marche à El Salvador un programme préventif de la violence juvénile qui a obtenu d’excellents résultats. Son pari consiste à offrir aux jeunes et aux adolescents du district un espace où ils peuvent passer leur temps libre et développer leurs capacités. Il s’agit précisément de la Maison d’Art et de Culture des Enfants et des Jeunes (Casa Infantil Juvenil de Arte y Cultura -CIJAC). Avec un programme attractif d’ateliers de théâtre, de danses ou d’échasses, entre autres, ils ont réussi à ce que de nombreux gamins se rallient à cette initiative, laissant derrière eux leur passé de délinquant.
José Carvajal, « Chavo  » est l’un d’eux. La bande « Les Immortels  » a été son refuge face à un climat familial asphyxiant. Là , il trouvait une reconnaissance, de l’action et de l’affection qu’il n’avait pas dans son foyer. Mais, maintenant, il a découvert à la CIJAC un lieu où il peut, grâce aux échasses, s’exprimer sans faire usage de ses poings. « Le jeune est par nature énergique et impulsif et notre tâche est de transformer toute cette énergie en quelque chose de positif  » affirme Percy Avilés, présidente de « Tierra de Niños  », qui insiste, néanmoins, pour que la travail de prévention s’inscrive dans un programme beaucoup plus large allant de l’éducation de la petite enfance (de 0 à 3 ans) jusqu’à la qualification professionnelle.
Les propositions locales comme celles-ci, qui partent d’un point de vue intégral, doivent tracer la voie à suivre par les dirigeants politiques. Ils leur incombent de mettre en oeuvre les mesures qui aideront à inverser les graves problèmes structurels qui poussent des milliers de jeunes dans le giron des bandes d’adolescents.
Source : Agencia de Información Solidaria (AIS), 29 juillet 2004.
Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL.