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Le débat impulsé par le néo-zapatisme sur le pouvoir d’Etat court le risque de rester sur le terrain abstrait des débats idéologiques s’il ne s’articule pas avec les expériences concrètes des mouvements anti-systémiques. L’histoire récente de l’Amérique latine permet d’avancer sur les résultats de l’option "étatiste", surtout dans les pays où les mouvements sociaux participent à différents niveaux de pouvoir. Evaluer comment cela a influencé leur force, leur capacité de mobilisation, leur cohérence interne et leur crédibilité face à leur base est une source de leçons pour l’ensemble des mouvements.
La participation du mouvement social équatorien au gouvernement de Lucio Gutiérrez, malgré le court laps de temps pendant lequel ses dirigeants ont assumé des charges gouvernementales, peut être une bonne occasion pour ramener sur la terre ferme le débat proposé par les Zapatistes. Le mouvement équatorien était sans doute le plus puissant du continent. Depuis 1990, le mouvement indigène, rassemblé dans la CONAIE, a été capable de promouvoir et d’organiser plusieurs soulèvements nationaux, de tisser des alliances avec de vastes secteurs populaires, de renverser deux présidents, de freiner l’application de mesures néolibérales et de créer un réseau très dense de contre-pouvoirs, à l’échelle locale, régionale et même nationale, qui s’appuyait sur les vagues successives de la mobilisation sociale. Après une décennie de forte activité sociale, l’Etat est entré en crise en janvier 2000, le moment clé pour comprendre le tournant politique sur lequel a reposé le triomphe de Gutiérrez [élu à la présidence de l’Equateur en novembre 2002, ndlr] et la participation du mouvement indigène - la principale force organisée du pays - dans son nouveau gouvernement.
Cette notable capacité de mobilisation contraste fortement avec la situation qui a suivi la sortie du Mouvement Pachakutik - le bras politico-électoral de la CONAIE - du gouvernement Gutiérrez dont l’appui avait été décisif pour son arrivée au pouvoir. La situation actuelle est au contraire marquée par la division et la faible capacité de mobilisation, l’usure et la faiblesse. Non seulement des clivages ont surgit entre les dirigeants - dont certains continuent à soutenir le gouvernement néolibéral - mais également entre les organisations de la sierra [la région montagneuse, ndlr] et celles de l’Amazonie, ainsi que, après leur passage au pouvoir, entre les dirigeants historiques et leurs bases.
Bien que toutes ces divisions ne soient pas totalement nouvelles, elles s’approfondissent dans un contexte où l’appareil d’Etat a récupéré sa capacité de neutralisation et de cooptation de par l’appui sur lequel il peut compter de la part d’éminents dirigeants sociaux ainsi que de secteurs entiers du mouvement. La situation est réellement devenue difficile et de nombreuses voix évoquent une véritable "inflexion" (revue Tintaji n°47) et même une période de recul "pour une décennie" du principal mouvement équatorien.
La situation opposée est celle que traverse le Mouvement des sans terre au Brésil. Il a depuis toujours maintenu des relations étroites avec le Parti des Travailleurs (PT) et a appuyé la candidature de Lula, mais il a tout autant toujours su garder ses distances avec le gouvernement et approfondir son autonomie. Les sans terre - à la différence des Equatoriens - ne participent pas avec des cadres ni des dirigeants au gouvernement du PT. Dans une récente interview publiée par la revue OSAL, Joao Pedro Stédile, principal dirigeant du mouvement, y soutient la thèse qu’avec le gouvernement Lula il est possible d’avancer dans la réforme agraire vu qu’il y a un changement des rapports de forces dans le pays, mais, prévient-il, c’est "un moment d’accumulation des forces". Il n’évoque pas la possibilité de rompre avec le gouvernement, mais en quelques mois le MST a organisé des centaines d’actions et il y a déjà 200.000 familles, soit un million de personnes, qui campent à la limite des grandes propriétés afin de faire pression pour l’octroi de terres. C’est la plus importante campagne d’occupations de l’histoire du mouvement. La récente campagne dénommée "avril rouge" fut la plus importante mobilisation nationale, avec 140 occupations de terres qui ont renforcé l’autonomie du MST et coupé court à toute tentative de cooptation ou de subordination de la part du gouvernement Lula.
Actuellement, le MST est engagé dans l’impulsion d’un "processus de luttes sociales et de mobilisations qui puisse déclencher une ascension du mouvement des masses" afin d’infléchir la politique néolibérale du gouvernement. Pour ce faire, une Coordination des Mouvements sociaux a été mise sur pieds et cette dernière appelle à une journée nationale de mobilisation centrée sur la question du chômage pour le 7 septembre prochain, "journée des exclus".
Bien qu’il ne l’évoque pas de manière explicite, le MST semble estimer que l’arrivée au pouvoir du PT représente une déroute historique pour la gauche, car, comme l’affirme Stédile, "au Brésil, nous devons reconstruire une pratique de gauche" car "dans les 20 dernières années, nous avons seulement accumulé des forces sur les terrains électoral et institutionnel".
Ces deux expériences peuvent servir de miroir pour l’ensemble des mouvements du continent. Mais elles sont, tout autant, une bonne occasion d’enrichir le débat sur la prise ou non du pouvoir, sur les relations que doivent maintenir les mouvements sociaux avec l’Etat et, plus particulièrement, sur la participation à des instances et des espaces étatiques. Et de mettre noir sur blanc l’importance de la construction de l’autonomie comme une pratique permanente et de trouver les espaces physiques et territoriaux sur lesquels l’exercer. L’avenir des mouvements sociaux, et la possibilité d’inverser la situation critique que traversent les Equatoriens, se situe dans la ferme autonomie que maintiennent les espaces communautaires de base.
Source : Servicio Informativo "Alai-amlatina"
Agencia Latinoamericana de Informacion - ALAI (http://alainet.org/index.phtml.es), 10 aoà »t 2004.
Traduction : Ataulfo Riera, pour le RISAL.