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Des centaines de milliers de Brésiliens - dont des dizaines de milliers d’enfants - sont morts de faim et d’effets secondaires de la malnutrition pendant la sécheresse qui a ravagé leur pays de 1979 à 1983. D’après le rapport de la Commission pastorale des terres (CPT) du Brésil, la sécheresse a fait en l’espace de quatre ans 12 fois plus de victimes que les deux bombes atomiques larguées sur le Japon en 1945.
Au Brésil, Les pertes humaines dues à des catastrophes liées à la sécheresse - cette dernière n’est qu’un exemple - ont été monumentales, persistantes et gigantesques.
Dans le Sertão - l’arrière-pays semi-aride situé au Nord-Est du Brésil - les pluies sont fréquentes et pourtant cette région se bat contre la sécheresse. Plus ironique encore, longtemps après la fin des périodes de sécheresse, l’eau continue cruellement de manquer, comme si la sécheresse n’avait jamais pris fin.
On y trouve de grandes étendues de terre craquelées, semblables à des déserts, qu’avoisinent pourtant de grosses fermes privées, aussi verdoyantes que le jardin d’Eden. On y trouve également de vastes plantations d’agrumes, et pourtant certains souffrent de la faim. On y trouve encore des villes, naguère fertiles et prospères, où aujourd’hui il n’y a plus que terres arides et ventres ballonnés, parce qu’il y a quelques dizaines d’années leur propre gouvernement, en épuisant leurs réserves d’eau, leur a ôté toute chance de survie. La sécheresse sévit dans la région pratiquement une année sur trois. Ces données sont ultra connues : cela fait 500 ans que les choses se passent ainsi. Cependant, depuis le début de l’histoire écrite du Brésil, les autorités tant nationales que locales n’ont quasiment rien fait pour remédier au manque d’eau, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
La recherche des causes de la sécheresse ne doit pas être laissée aux seuls spécialistes de la météorologie ou de l’environnement, parce que le principal facteur qui cause la malnutrition, les maladies, les décès et la désaffection des campagnes en faveur des villes de l’intérieur de la région nord-est n’est pas le manque d’eau mais la manipulation politique de ce dernier. « O problema não é a seca, é a cerca  », dit-on dans le Nord-Est du Brésil [demi-jeu de mots : « le problème, ce n’est pas la sécheresse, c’est le barrage  »]. Pendant les périodes de sécheresse, alors que l’on voit couramment des enfants mourir de faim ou de malnutrition, la région continue d’exporter d’énormes quantités de nourriture. Il y a des décennies, le gouvernement acceptait d’envisager de protéger les citoyens en cas de sécheresse, jusqu’à ce que l’on se rende compte qu’elle fournissait à la classe politique une excuse en or. La sécheresse a servi à expliquer la pauvreté rurale, à s’assurer une main d’oeuvre bon marché, à obtenir des prêts au niveau international et des aides fédérales, à justifier l’échec des politiques mises en oeuvre et également de stratégie électoraliste.
En 2001 [sous le gouvernement de F.H. Cardoso, ndlr], le Brésil devait faire face à une des plus graves sécheresses de son histoire. Seules quelques gouttes de pluie tombèrent sur le Nord-Est et des situations d’urgence dues à la sécheresse furent déclarées à l’intérieur des terres dans tout le Nord-Est. Lorsqu’il n’y eut plus qu’un filet d’eau qui coulait dans le lit des rivières et des ruisseaux d’alimentation des barrages hydroélectriques, il s’ensuivit des coupures et des rationnements d’électricités, même dans les quartiers cosmopolites de São Paulo. L’Institut national de météorologie annonça qu’il n’avait pas plu pendant l’été 2000 et prédit que la sécheresse pourrait se prolonger avec le retour d’El Niño en 2002 [modifications des relations complexes entre océan et atmosphère qui aboutit dans la région Pacfique-tropiques à des processus alternés de pluies diluviennes et de sécheresse, ndlr]. On prévoyait une baisse de 90% de la production agricole.
Peu de temps avant le début de la sécheresse, le président Fernando Henrique Cardoso avait dissout les organismes pour le développement de l’Amazonie et du Nord-Est, suite à une série d’affaires de corruption, dans lesquelles avaient trempé des sénateurs haut placés. Elles avaient jeté le discrédit sur ces organismes. Le couperet s’abattit sur l’un de ces derniers, la Superintendência do Desenvolvimento do Nordeste (SUDENE - La Super-administration du développement du Nord-Est), qui conduisait le projet de lutte contre la sécheresse, lancé en 1959 [à l’époque du président « développementiste » Juscelino Kubittschek, ndlr]. Son démantèlement scandalisa certains sénateurs parce qu’ils croyaient que ce projet commençait à obtenir des résultats. « Tout ceci découle de l’idée macabre que les élites dirigeantes se font de la région Nord-Est, s’époumona le membre du Congrès Clementino Coelho [député membre du PPS, Parti populaire socialiste, issu du PC, lors de la législature 1999-2002, ndlr]. Pour la première fois depuis un siècle, nous étions sur le point de traiter rationnellement la question de la sécheresse ; [maintenant, nous garantissons] l’apocalypse dans le Nord-Est.  » [1]
Au Sergipe [capitale Aracaju, ndlr], un Etat du Nord-Est, le premier pillage de supermarché donna officieusement le signal indiquant que la sécheresse avait commencé. Le supermarché ferma ses portes, 40 nouvelles personnes venant grossir encore davantage les rangs déjà serrés des chômeurs et des affamés. On convoqua des réunions d’urgence. Les membres du gouvernement déclarèrent qu’ils ne disposaient pas d’assez d’eau pour l’irrigation ainsi que pour la consommation du bétail et humaine. Dans de nombreuses villes, il était impossible de boire le peu d’eau qui restait à cause d’un degré de salinité élevé dà » à de mauvaises techniques d’irrigation.
Au Ceará [capitale Fortaleza, ndlr], autre état du Nord-Est, des ouvriers agricoles affamés investirent plusieurs villes. Les journaux titraient : « Plusieurs municipalités sont déclarées zones sinistrées. » La famine poussa 200 fermiers à installer un barrage routier sur une portion d’autoroute à l’intérieur du Ceará ; ils disposèrent rochers et troncs d’arbres en travers de la route et les automobilistes durent leur donner de l’argent afin de pouvoir passer. Ils campèrent aussi devant la maison du maire et devant son bureau, mendiant des colis alimentaires et envisagèrent d’investir les supermarchés.
Une troupe de policiers lourdement armés se rendit sur les lieux pour « prévenir toute violence  ». Afin de prévenir de futures perturbations, la police militaire fut déployée tout le long de l’autoroute pour empêcher quiconque d’installer des barrages et réclamer des droits de péage. D’après le lieutenant qui dirigeait ces forces de police, ils étaient envoyés partout où une sérieuse sécheresse se déclarait, « parce que c’est là que les gens commettent les actes les plus excessifs.  » [2]
Avec un budget de 9 millions de dollars, le ministre du développement de l’agriculture, Raul Jungman [sous le gouvernement de F.H. Cardoso, ndlr], annonça qu’il allait immédiatement commencer la distribution d’aides gouvernementales. Cependant, au bout du compte, aucun fonds ne fut alloué à son projet, ni aux organismes de lutte contre la sécheresse encore existants. Il se rendit dans les régions victimes de la sécheresse. La pauvreté comme la tristesse qui régnaient dans l’intérieur des terres lui firent verser des larmes. L’empereur du Brésil avait fait la même chose deux siècles auparavant, lorsqu’il avait juré de vendre jusqu’à la dernière pierre précieuse de la couronne royale afin d’empêcher une famine de masse (la couronne demeura telle quelle et près d’un million de Brésiliens moururent). Le Général Emilio Médici, dictateur du Brésil [Emilio Garrastazu Medici dirige la junte militaire depuis aoà »t 1969, ndlr], se rendit également sur place dans les années 1960. Le cycle semble ne pas avoir de fin. Au niveau social les conséquences de cette sécheresse furent jugées relativement peu sévères comparées à celles des sécheresses précédentes. Pourtant, dans le Nord-Est, des milliers de personnes moururent de déshydratation, de dysenterie et d’autres maladies habituellement liées à la pénurie d’eau. Au cours de cette seule année, des dizaines de milliers de fermiers des zones rurales migrèrent vers le sud et l’ouest du pays, faisant empirer la situation des villes déjà surpeuplées mais fournissant aux entrepreneurs amazoniens une main d’oeuvre encore meilleur marché.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire du Brésil, les sécheresses ont fait partie des réalités incontournables de ce pays. Les tribus indigènes migraient en fonction du cycle des pluies. Déjà , en 1559 [les Portugais débarquent en 1500 et en 1525, Jean III du Portugal « obtient » le Brésil : conférence de Badajoz, ndlr], des prêtres portugais mentionnaient dans leurs écrits des sécheresses dévastatrices.
Tout au long du XVIIème siècle, de graves sécheresses provoquèrent une pénurie de ressources, intensifiant les conflits qui opposaient colons et populations indigènes. Celle de 1721-1726 fut une calamité, ainsi que celle de 1777-1778 qui tua presque 90% du bétail dans le Nord-Est. L’absence totale de pluies de 1790-1793 fut surnommée la "grande sécheresse" parce qu’il ne tomba pas une seule goutte pendant cette période ; les élevages furent décimés et des milliers de gens périrent. L’historien Marco Antônio Villa raconte que pendant ces années-là , « l’eau disparut complètement dans la plus grande partie du Ceará.  » Trois calamités s’abattirent alors sur la région : des sauterelles « qui ressemblaient à des nuages obscurcissant le soleil  », des serpents et des rats.
Un tiers de la population du Pernambuco [capitale Recife] mourut. La sécheresse de 1824-1826 amena la variole et un tiers des habitants du Sertão succomba à la famine et à la maladie. Pendant la sécheresse de 1877, 330’000 personnes, au bas mot, moururent de faim, 100’000 de fièvre et 70’000 de la variole. [3]
Depuis 1877, la colonie est devenue une république. Dictatures et démocraties se sont maintes fois succédé. Cependant la malédiction du manque d’eau est demeurée.
Les statistiques des dernières décennies peignent un sombre tableau : les directeurs de la Santé publique disent que, sur 40’000 morts survenues dans les villes en 1969, 13.2% ont été causées par la déshydratation et par la dysenterie - des causes de mortalité habituellement associées à la sécheresse. Dans le Nord-Est, l’espérance de vie moyenne avoisinait les 42 ans.
En 1971, un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) concluait qu’il n’existait pour ainsi dire pas de politique agraire ou de plan d’irrigation pour la région et que les ressources étaient dilapidées et le personnel dirigé avec peu d’efficacité.
Maria do Rosário Vieira de Almeida nous apprend qu’en 1979, une sécheresse s’est abattue sur le Polygone (zone sujette à la sécheresse que le gouvernement fédéral redéfinit chaque année ), « provoquant des dégâts et entraînant des tendances irréversibles dans des milliers de municipalités  ». Elle note aussi qu’en 1980, la production de haricots, de riz et de maïs a chuté de 2.5 millions de tonnes par rapport aux niveaux de 1978. Plus de 250 000 personnes sont mortes dans tout le Sertão à cause de la sécheresse ; le taux de mortalité infantile est passé brutalement à 250 morts pour 1 000 dans certaines localités. Au Pernambuco, de nombreux lacs ne réussissaient plus à se remplir depuis une vingtaine d’années, et la seule eau dont on disposait présentait des risques pour la santé. [4]
Si l’on examine l’histoire des organismes brésiliens de lutte contre la sécheresse, on découvre deux thèmes récurrents : l’incompétence gouvernementale et la corruption.
Alors que dans le monde d’autres nations - Israë l, l’Irak, la Chine, l’Afrique du Sud - ont eu recours à l’irrigation comme parade contre la sécheresse, le Brésil n’a jamais été capable de résoudre ses problèmes de sécheresse.
Le premier organisme fédéral de lutte contre la sécheresse date de 1906. A cet organisme a succédé, en 1934 [IIème Républiue, période Getulio Vargas], le Departamento Nacional de Obras Contra as Secas (DNOCS), auquel est venue s’ajouter en 1959 la SUDENE.
Les résultats obtenus par ces deux organismes ont été remarquablement médiocres. « Des précipitations insuffisantes, explique l’écrivain Albert Hirschman, ne sont en aucun cas la principale caractéristique de l’arrière-pays du Nord-Est. »
Les années normales, la pluviométrie totale est de 27 pouces (68.5 cm), une pluviométrie comparable à celle d’autres régions du monde qui ne sont pas aussi fréquemment victimes du manque d’eau que le Nord-Est du Brésil. Le problème de base est que l’on récupère moins de 10% de l’eau de pluie qui tombe sur le Polygone de la sécheresse, parce que le gouvernement brésilien n’a pas développé les infrastructures nécessaires au stockage de l’eau - ce qui indique de manière indiscutable son incompétence. L’eau qui ne fait pas l’objet d’un stockage s’écoule dans les sols érodés, elle s’y évapore ou devient inaccessible et polluée. [5]
Au Brésil, les projets de construction de puits, de lacs artificiels et d’irrigation agricole ont toujours coà »té très cher, mais se sont avérés inefficaces sur le plan local et souvent contre-productifs. Le gouvernement brésilien - qui a emprunté des millions de dollars à la Banque mondiale (BM - mise sur des projets démesurés au détriment des besoins locaux.Par exemple, plutôt que de faire creuser de petits lacs artificiels locaux, DNOCS et SUDENE ont opté pour la construction d’immenses lacs artificiels sur des terrains privés, tout en déplaçant les familles pauvres dans des régions censées être plus humides. Mais pour loger 100 familles dans les années 1960, il a fallu en expulser pratiquement six fois plus.
Au déplacement désastreux de ces communautés, traitées comme du bétail, qui s’est poursuivi jusqu’à la fin des années 1970, est venue s’ajouter cette triste réalité : il n’existait aucun système établi ou efficace de compensation pour ces dépossédés.
N’étant titulaires d’aucun bail locatif officiel pour leurs terres, 70% des familles expulsées ne reçurent pas la moindre compensation. De plus, DNOCS payait des prix « bien inférieurs à ceux du marché », et des personnes qui étaient en réalité propriétaires de leurs terres, mais qui se trouvaient à l’époque dans l’incapacité d’en fournir la preuve, furent expropriées. Il fallut souvent des années pour obtenir des compensations, et la valeur de ces compensations se trouva « gravement érodée par l’inflation », souligne le chercheur Anthony L. Hall. [6]
Les emplacements des projets d’irrigation n’ont pas été choisis avec suffisamment de discernement par rapport aux facteurs écologiques. La plupart, par exemple, « n’ont pas été choisis en fonction de critères de fertilité et d’uniformité maximales des sols.  » Le procédé « a apporté avec lui son lot de problèmes, à savoir saturation et salinité des sols, pollution et épuisement des aquifères, et assèchement des lacs et des mers intérieures », souligne un document de la Banque mondiale.
Des rapports du DNOCS montrent que 20% des terres irriguées ont des problèmes de salinité, de condensation ou d’inondation. Des scientifiques indépendants, cependant, avancent des pourcentages allant de 30 à 50%. Les avantages procurés par l’irrigation sont souvent contrebalancés par les inconvénients dus à la salinité. « Tandis que les marchés extérieurs raflent les bénéfices, les pertes sur le terrain s’additionnent  », affirment Jesse Ribot, Adil Najam, et Gabrielle Watson. [7]
S’ajoutant à un tel manque d’efficacité, la corruption imprègne souvent les tentatives gouvernementales D’après un article paru en 1993 dans le San Francisco Chronicle, les six puits, d’un rendement de 26’000 gallons (98’410 litres) par jour et propriété d’Inocencio de Oliveira, dirigeant aguerri du PFL (Parti du front libéral), n’étaient pas destinés à étancher la soif de quiconque.
L’eau qu’ils produisaient était réservée à l’usage privé de celui qui était le quasi vice-président du Brésil, et la majeure partie servait à laver les moteurs des motos d’un magasin appartenant à Oliveira.
Depuis la mise en place des plans de lutte contre la sécheresse, dit l’article : « sur un total de 25’000 puits, le DNOCS en a foré 18 000 dans des propriétés privées et a construit 500 barrages privés sur un total de 800.  » Il souligne également qu’un rapport de la Chambre fédérale des députés mentionne que « la plupart des clients du DNOCS sont des députés fédéraux, des maires, des fazendeiros (gros propriétaires terriens) des hommes d’affaires et des multinationales. »
Les auteurs de l’article concluent en résumé que la corruption gouvernementale joue un rôle central : « Les aides consenties par le gouvernement fédéral en réponse à la sécheresse actuelle ont été parcellaires, et les dons sont souvent détournés par les hommes politiques du cru, qui revendent la nourriture. Ils l’échangent aussi contre des promesses de vote, en distribuant des haricots, des briques pour la construction d’habitations et des emplois d’urgence au salaire minimum.  » [8]
C’est « la dimension sociale qui accentue les problèmes climatiques dans le Nord-Est du Brésil  », disent des chercheurs dans un article sur les changements climatiques et le développement durable. D’après Anthony L. Hall, même pendant les périodes de pluies normales, les « maigres ressources suffisent à peine à assurer la subsistance [des habitants]. » Il souligne plus loin que la sécheresse dans le Polygone ne constitue que l’une des causes du chômage rural, du sous-développement, de la pauvreté et de la migration. « La tragédie humaine causée par la sécheresse, affirme-t-il, résulte directement de la façon dont la structure rurale du Sertão précarise des milliers de paysans, les rendant vulnérables aux plus petites vicissitudes du climat.  » [9]
On fait souvent porter à la sécheresse la responsabilité de la pauvreté et la montée de l’exclusion dans le monde rural du Nord-Est brésilien, mais il ne s’agit là que d’une explication partielle. Au Brésil, les conditions politiques, économiques et climatiques sont inextricablement liées ; la sécheresse est une des causes de la pauvreté de cette région, et paradoxalement, elle en est également une des conséquences.
Cela fait longtemps que le Nord-Est du Brésil constitue la plus grande zone de pauvreté rurale de l’Amérique Latine. Au Brésil, les deux tiers des habitants pauvres des zones rurales vivent dans le Nord-Est : 47.2% de ses 45 millions d’habitants sont analphabètes. Un bon tiers vit dans « la pauvreté absolue  ». Le taux de mortalité infantile dans le Sertão est l’un des plus élevés du monde : 75 pour 1 000, tandis que la moyenne nationale au Brésil est de 58 pour 1 000 (ce qui est déjà énorme). Quelque 73% des ménages du Nord-Est ne disposent pas de sanitaires, comparés à une moyenne nationale de 46%. [10]
La sécheresse n’est pas responsable de la pauvreté du monde rural ; elle agit plutôt comme révélateur des inégalités préexistantes.
La sécheresse pourrait être tout à fait inoffensive, simplement un sujet de débat politique - comme c’est le cas au Texas et en Californie - n’étaient-ce les facteurs politiques qui en exacerbent les effets. « La précarité, l’exclusion sociale et géographique, les changements environnementaux et la dégradation due à l’aridité, expliquent les experts de l’eau, sont des problèmes essentiels, interconnectés et chroniques.  » [11] La combinaison de sécheresse, d’inégalité et de structures politiques établies et corrompues, telles sont les causes de l’exclusion sociale et de la pauvreté.
Warren Dean écrit que seulement 2,6% d’un échantillon de la population étudiante de l’Université du Paraná de Maringá, une ville située à l’intérieur des terres, étaient au courant de la sécheresse, du gel et des incendies catastrophiques qui avaient détruit 21’000 kilomètres carrés des forêts de leur Etat, 20 ans auparavant. « Est-ce que, de génération en génération, on ne devrait pas transmettre le récit de cet holocauste causé par l’Homme ?  », s’interroge-t-il.
Le manuel d’histoire approuvé par le ministère de l’éducation ne devrait-il pas débuter ainsi : « Les enfants, vous vivez dans un désert ; laissez-nous vous raconter comment on vous a déshérités ?  » [12]
Un des plus grands paradoxes du XXème siècle est que, dans le pays qui détient le record mondial des ressources en eau potable et qui a des lacs comptant parmi les plus importants du monde, des enfants meurent de soif.
[1] Informations sur la sécheresse de 2001 et citation de Coelho : Edson Luiz, Ministro transfere-se para Recife para cuidar da seca, O Estado de São Paulo, 25 mai 2001.
[2] Sur Sergipe, Ceará, et la réaction de la police : Andreza Matais, Governo federal segura dinheiro, O Povo, 3 juin 2001.
[3] Marco Antônio Villa, Vida e morte no sertão (São Paulo : Editor à tica, 2000), 18, 20-21 ; Alberto de Oliveira, A saga de um povo (Fortaleza : ABC Fortaleza, 1999), 7, 41.
[4] "Brazil : More Promises for the Northeast," Latin America Newsletters, Ltd. (16 juillet 1971), 228 ; Maria do Rosário Vieira de Almeida, O fenômeno da seca no Rio Grande do Norte (Natal : Universidade Federal do Rio Grande do Norte, 1993), 30.
[5] Albert Hirschman, Journeys Toward Progress (New York : Twentieth Century Fund, 1963), 14 ; "Rising Tide of Anger in Brazil’s Desert," San Francisco Chronicle, 22 avril 1993.
[6] Anthony L. Hall, Drought and Irrigation in North-East Brazil (Cambridge : Cambridge University Press, 1978), 73.
[7] World Bank, Natural Resources and Rural Poverty Division, Brazil : Irrigation, Water Policy, and Legal Implications Report of a World Bank Seminar, Internal Discussion Paper (Washington, D.C. : Banque Mondiale, juin 1994), i ; Jesse Ribot, Adil Najam, et Gabrielle Watson, "Climate Variation, Vulnerability, and Sustainable Development," in Climate Variability, Climate Change, and Social Vulnerability in the Semi-arid Tropics, édité par Jesse Ribot, Antônio Rocha Magalhães, et Stahis Panagides (Cambridge : Cambridge University Press, 1996), 43.
[8] "Rising Tide of Anger in Brazil’s Desert," San Francisco Chronicle, 2 avril 1993.
[9] Ribot, Najam, et Watson, "Climate Variation," 14, 21 ; Hall, Drought and Irrigation, 19.
[10] World Bank, Natural Resources Management and Rural Poverty Division, Northeast Rural Poverty Alleviation Program, Rural Poverty Alleviation Project-Bahia, Staff Appraisal Report no. 14390 (Washington, D.C. : Banque Mondiale, 6 juin 1995), 2 ; Judith Tendler, Good Government in the Tropics (Baltimore : Johns Hopkins University Press, 1997), 10.
[11] Ribot, Najam, et Watson, "Climate Variation," 13.
[12] Warren Dean, With Broadax and Firebrand (Berkeley and Los Angeles : University of California Press, 1995), 363.
Source : North American Congress on Latin America - NACLA (www.nacla.org),
Vol. 38, No. 1, juillet / aoà »t 2004.
Traduction : C.F. Karaguezian, pour RISAL (www.risal.collectifs.net). Corrections : revue A l’Encontre (www.alencontre.org).