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Le président du Venezuela était dans son élément à Brasilia durant le premier sommet de la Ligue arabe et de la Communauté sud-américaine des nations, servant de charnière entre deux mondes qui se rencontrent rarement, et sur lesquels il a basé sa politique extérieure : celui de l’intégration latino-américaine, son rêve bolivarien, et celui du pétrole, pilier de l’économie vénézuélienne et de sa propre diplomatie.
La veille de la réunion, qui rassembla des chefs de 11 pays latino-américains et de 22 nations arabes, dont sept membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), les chefs d’État du Venezuela, du Brésil et de l’Argentine se sont mis d’accord pour « une plus grande intégration politique, énergétique et culturelle sud-américaine  », en annonçant la création d’une entreprise pétrolière commune, Petrosur.
La transnationale sud-américaine démarrerait avec des investissements conjoints sur trois projets : l’exploration gazifière et pétrolière en Argentine, la construction d’une raffinerie dans le nord du Brésil pour traiter du pétrole vénézuélien, et l’exploration pétrolière dans le bassin de l’Orénoque au Venezuela.
« Cela en est terminé des prétentions hégémoniques d’une puissance ou d’une superpuissance qui prétend être le maître du monde et qui prétend lui dicter les codes de conduite et les modèles politiques et économiques  », dit Chávez, faisant une allusion claire aux Etats-Unis.
Le président vénézuélien prétend convertir Petrosur en moteur de développement de la Communauté sud-américaine des nations, créée en décembre passé lors du IIIe Sommet sud-américain, à Cuzco, un ambitieux projet d’intégration politique et économique qui cherche la convergence « physique, énergétique et de communications  » entre les pays membres du Mercosur [Marché commun du Cône Sud] et la Communauté andine (CAN), et auquel se joindront la Guyane et le Surinam.
Chávez navigue sur la crête d’une vague tant politique qu’économique, avantagé par le prix élevé du pétrole sur le marché mondial, 17 USD au-dessus des prévisions dans son budget fiscal pour cette année.
Ceci lui a permis non seulement de soutenir une politique expansive de dépenses pour financer des programmes sociaux dans son pays - ce qui lui a valu, selon les sondages, un solide appui populaire, mais aussi de conclure des accords économiques et de coopération, dont des trocs et des donations, avec une grande partie de la région, et même au-delà .
L’utilisation du pétrole comme arme diplomatique n’est pas nouvelle dans la politique vénézuélienne, mais le gouvernement de Chávez a poussé cette stratégie à l’extrême, en offrant des opportunités d’affaires dans plusieurs secteurs énergétiques, en signant des accords sur le pétrole et le gaz, ainsi qu’en apportant de l’aide, des donations et des facilités pétrolières à un grand nombre de pays, spécialement du Tiers Monde.
" La diplomatie pétrolière de Chávez cherche à prendre ses distances avec les Etats-Unis, tandis qu’elle resserre les liens pétroliers avec la Chine et l’Amérique latine. L’idée est de rassembler les nations de la région, spécialement les nations sud-américaines, au sein d’un plan géopolitique ", a expliqué à LND MarÃa Teresa Romero, politologue de Visión Venezolana.
Mais pour cela, Chávez doit s’assurer des recettes pétrolières soutenues, et cette année il s’est mis en campagne pour en obtenir à plus long terme. En avril, le ministre de l’Énergie et du Pétrole et le président du holding étatique Petroleos de Venezuela (PDVSA), Rafaë l Ramirez, ont annoncé que d’ici six mois, toute entreprise étrangère opérant dans leur pays devra former une entreprise mixte avec le gouvernement, qui en contrôlerait 51%.
Actuellement, les entreprises étrangères produisent un total de 1,1 millions de barils de brut par jour, près d’un tiers de la production totale du pays, cinquième exportateur mondial de cette matière première et seul membre latino-américain de l’OPEP.
Impôts rétroactifs
L’annonce a été reçue comme un sceau d’eau glacée par les entreprises pétrolières étrangères, dont beaucoup sont des poids lourds sur le marché mondial, comme Chevron Texaco (E-U), Exxon Mobil (E-U), Conoco Phillip (E-U), British Petroleum (Grande-Bretagne), Petrobras (Brésil), Repsol YPF (Espagne- Argentine), Royal Dutch/Shell (Grande Bretagne- Pays Bas), Total (France) et Chine National Petroleum Corporation (Chine).
Entre 1992 et 1997, afin d’augmenter le niveau d’extraction du brut, PDVSA avait signé 32 conventions opérationnelles et quatre associations stratégiques avec 22 entreprises multinationales pour qu’elles opèrent dans des zones marginales. Celles-ci doivent payer une redevance de 30% sur leur production, et un impôt sur le revenu de 34%.
En avril, le gouvernement de Chávez a décidé d’élever l’impôt aux entreprises pétrolières à 50%, et plus récemment a annoncé que l’impôt devait être payé rétroactivement, depuis l’approbation de la nouvelle Loi de Renta en 2001, jusqu’en 2004. Seulement pour cette année, selon les autorités, les multinationales du brut doivent 300 millions USD d’impôts au fisc.
Bush, hors jeu
Avant de voyager au Brésil cette semaine, Chávez a donné un ultimatum simple : alléguant que beaucoup parmi elles avaient échappé aux impôts durant des années en déclarant des pertes artificiellement, il les a sommées de payer les impôts dus, avec les intérêts, ou bien d’abandonner le pays. De cette façon, le gouvernement prétend augmenter les budgets fiscaux de 18.6 milliards USD. Et tout ceci à une année des élections présidentielles, pour lesquelles Chávez est bien placé pour gagner six autres années de pouvoir.
Depuis qu’il a pris les rênes du gouvernement en février 1999, et spécialement depuis qu’a échoué la tentative de coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis contre lui en 2002 [1], et qu’il a été ratifié à son poste en aoà »t 2004 par referendum populaire [2], Chávez n’a rien fait d’autre que d’irriter les Etats-Unis avec ses mesures intérieures socialisantes, son discours belligérant anti- états-unien [3] et son leadership croissant dans la région, en prétendant renforcer un pôle de centre-gauche qui servirait de bloc et d’alternative aux plans de la Maison blanche envers l’Amérique latine.
Fin avril, Chávez a décidé d’annuler un programme d’opérations et d’échange militaire avec les Etats-Unis, alléguant que les instructeurs américains essayaient de provoquer le mécontentement parmi les soldats vénézuéliens, et a ordonné l’expulsion de cinq fonctionnaires états-uniens en charge du programme. Récemment, Chávez a activé le Commandement général de la réserve militaire dans la capitale, en incorporant un million de réservistes dans sa première phase pour anticiper une hypothétique attaque nord- américaine.
Le ton est monté après la vente d’armes par la Russie de 100 mille fusils AK-47 au Venezuela, qui, a signalé la Maison blanche, pourraient être destinés aux insurgés des FARC en Colombie [4]. Peu après, l’Espagne a annoncé qu’elle allait vendre dix avions militaires et huit vedettes patrouilleurs au Venezuela.
En ajoutant cela à la relation politique et économique étroite de Chávez avec le président cubain Fidel Castro, le dirigeant vénézuélien est en train de pousser à bout la patience du président George W Bush. En alliance stratégique avec Castro, Chávez prétend établir la pointe de lance pour son projet d’une Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) [5], pour contrecarrer la proposition américaine, en panne [6], d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA, ALCA en espagnol).
Cependant, le 11 mai, Castro et Chávez ont annoncé que, dans les accords pour avancer dans la construction de l’ALBA, les deux pays créeraient une entreprise de construction transnationale visant à réduire le déficit de logements dans la région ; Cuba apportera les machines et les équipements, et le Venezuela le capital grâce, de nouveau, au pétrole.
Les Etats-Unis ont perdu de façon soutenue leur hégémonie et leur influence dans la région au cours des dernières années, en partie parce que leur politique extérieure, leurs services d’intelligence et leur puissance militaire se sont concentrés sur le Moyen Orient.
Le plan grandiose pour une Zone de libre-échange des Amériques est bloqué depuis des années, tandis que sont apparues des initiatives d’intégration entre les chefs de la région qui, même si certaines sont peut-être plus symboliques qu’effectives, démontrent une volonté d’indépendance politique vis-à -vis des Etats-Unis.
Pour la première fois dans leur histoire, les Etats-Unis n’ont même pas été capables d’imposer aucun de leurs deux candidats à l’OEA [Organisation des Etats américains], et ont dà » accepter le triomphe du Chilien José Miguel Insulza [7], qu’ils voyaient avec méfiance justement à cause de l’appui de Chávez à sa candidature et la possible position que prendrait le Chilien, une fois à la tête de l’OEA, en ce qui concerne le Venezuela.
« Washington est inquiet parce que les relations militaires avec Cuba sont étroites, et que Chávez a parlé d’armer des milices pour défendre le pays contre une invasion nord-américaine. Il est clair, vu depuis ici, que Chávez a en effet des prétentions de conduire un bloc de pays, non pour équilibrer la balance de pouvoir avec les Etats-Unis, mais pour s’opposer ouvertement aux initiatives et aux intérêts nord-américains  », déclara à LND
Vinay Jawahar, analyste politique de l’Inter-American Dialogue, Ã Washington DC.
Pressions et instabilité
Toutefois, Bush ne dispose pas de beaucoup d’alternatives pour faire face au Venezuela, tant que ce pays continuera à fournir 15% de ses besoins de brut, et n’a pas besoin de prêts ou d’assistance états-unienne que Bush pourrait retenir comme moyen de pression ; plus
encore, tant que les Etats-Unis continuent à être dépendants de pays instables pour leurs importations de pétrole - malgré la bonne affaire qu’ils ont faite avec l’occupation de l’Irak - et qu’ils ne se seront pas garanti de nouvelles sources d’approvisionnement.
Pour le moment, ils mettent sous pression le principal producteur de brut au monde, l’Arabie saoudite, pour qu’il augmente sa production et fasse ainsi baisser le prix international, tandis que sur le front intérieur, Bush essaye de presser l’approbation de la Loi sur l’énergie, qui doit être débattue ce mois-ci au Sénat, et qui permettrait l’extraction de brut en Alaska et sur les côtes de Californie, où elle a été interdite durant ces deux dernières décennies étant donné le fort impact environnemental qu’elle aurait sur les écosystèmes de ces zones.
Cependant, selon The New York Times, qui cite des sources gouvernementales, la Maison blanche a créé un groupe de travail pour concevoir un plan de confrontation avec Chávez, et pour éviter sa réélection en 2006, probablement en augmentant le financement de groupes patronaux et d’opposition, tandis qu’elle essaye de persuader d’autres pays dans la région d’isoler Chávez, une stratégie qui, jusqu’à présent, est tombée dans l’oreille de sourds.
[1] Voir le dossier “Coup d’Etat au Venezuela” : www.risal.collectifs.net/mot.php3 ?i....
[2] Voir le dossier “Referendum au Venezuela” : www.risal.collectifs.net/mot.php3 ?i....
[3] Voir le dossier “Tension avec les Etats-Unis” : www.risal.collectifs.net/mot.php3 ?i....
[4] Voir : Gary Leech, L’art de la déstabilisation, RISAL, 11 avril 2005 : www.risal.collectifs.net/article.ph... .
[5] Voir : Marcelo Colussi, L’ALBA : une alternative réelle pour l’Amérique latine, RISAL, 17 mai 2005 : www.risal.collectifs.net/article.ph....
[6] Voir : Raúl Zibechi, L’intégration régionale après l’échec de la Zone de libre-échange des Amériques, RISAL, 16 mars 2005 : www.risal.collectifs.net/article.ph....
[7] Voir : Carlos Laquinandi Castro, La bataille pour le contrôle de l’Organisation des Etats américains (OEA), RISAL, 6 mai 2005 : wwW.risal.collectifs.net/article.ph....
Source : La Nación (www.lanacion.cl/), Chili, 15 mai 2005.
Traduction : Diane Quittelier, pour RISAL (www.risal.collectifs.net/).