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Cuba : l’autre histoire
par Carlos Fazio
9 août 2005

A 3h15, le 4 mars 1960, le bateau àvapeur La Coubre explosait àquai dans la baie de La Havane avec sa cargaison de grenades pour fusils FAL de fabrication belge. L’explosion causa un nombre indéterminé de disparus. On retrouva les restes de 101 personnes et il y eut plus de 200 blessés. Le gouvernement des Etats-Unis avait fait pression sur les autorités belges pour éviter les expéditions d’armes àdestination de Cuba et, depuis janvier de la même année, un groupe de travail de l’Agence centrale des renseignements (CIA) avait déclenché une guerre souterraine contre la révolution cubaine.

Une information déclassée de l’inspecteur général de la CIA, Lyman Kirkpatrick, reproduite par le Nuevo Herald de Miami, le 2 mars 1998, montre que le sabotage de La Coubre faisait partie d’un dessein plus vaste : « Le projet de renverser (Fidel) Castro était devenu une activité importante de l’Agence et jouissait de la plus haute approbation politique  ». Avec l’aval du président J.F. Kennedy les actes terroristes états-uniens ravageraient l’île durant les premières années de la révolution. Robert Reynolds, chef du bureau de la CIA àMiami de septembre 1960 àoctobre 1961, l’a admis : « Nous avions commencé àfaire quelques sabotages.  » Des explosifs hautement inflammables produits dans les laboratoires de la CIA et dissimulés dans des cartouches de cigarettes Eden réduisirent àl’état de décombres ou endommagèrent gravement des centres commerciaux comme El Encanto, La Epoca, Flogar et des lieux publics tels que le Cine Candido et le Théâtre Riesgo.

« Que n’avons-nous pas fait pour nous débarrasser de Castro ?  », mentionne un mémorandum du président du Conseil des chefs d’état-major interarmées adressé au secrétaire àla Défense, Robert Mc Namara (11 avril 1962). Une information en provenance du Renseignement reproduite par la revue US News World Report le 8 octobre 1998 signale que parmi les actions terroristes planifiées par Washington, il y avait « simuler une attaque de la base navale de Guantanamo en utilisant des Cubains (résidant aux Etats-Unis). Ceux-ci se feraient passer pour des attaquants lançant des mortiers et détruisant avions et installations avant d’être capturés.  » Grâce àce « prétexte  », les Etats-Unis auraient la possibilité de contre-attaquer de manière directe.

Une autre action rappelle le stratagème de l’explosion du croiseur Maine dans le port de La Havane àla fin du XIXe siècle, explosion qui servit de prétexte pour entrer en guerre contre l’Espagne et « libérer  » Cuba : elle consistait à« faire exploser un vaisseau sans équipage près d’une importante ville cubaine. Les Etats-Uniens simuleraient le sauvetage de marins inexistants, la liste des pertes paraîtrait dans les journaux des Etats-Unis entraînant une vague d’indignation nationale.  » On imagina aussi « d’introduire des armes dans un pays des Caraïbes en y envoyant des avions peints comme des MIG cubains, donnant ainsi l’impression d’un acte subversif appuyé par Castro  » et « de faire exploser un avion états-unien sans équipage ni passager, avec une fausse liste de passagers. Cette destruction serait portée au compte de Cuba.  »

Après la déroute des mercenaires de la Brigade 2506 sur les sables de Playa Girón (Baie des cochons), les Etats-Unis déclenchèrent l’opération Mangouste dans le cadre de laquelle fut créée la plus grande base de la CIA, JM-Wave ; 600 officiers de la « Compagnie  » y opéraient ; entre 3 et 4 mille agents d’origine cubaine travaillaient pour eux. A partir d’une infrastructure complexe basée àMiami, JM-Wave contrôlait des centaines d’organisations contre-révolutionnaires qui lui servaient d’écran dans ses agressions terroristes contre Cuba.

Des recherches publiées aux Etats-Unis établissent l’existence d’un mémorandum du Bureau fédéral d’investigation (FBI), daté de juillet 1965, qui assure que Jorge Mas Canosa, le créateur disparu de la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA) reçut àcette époque 5 mille dollars de la CIA « pour financer une opération du terroriste Luis Posada Carriles contre des bateaux soviétiques et cubains mouillés dans le port mexicain de Veracruz  ».

Trente ans plus tard, dans le cadre d’une série d’attentats àl’explosif contre des établissements touristiques cubains (les hôtels Capri, El Nacional, Triton, Chateau-Miramar, Copacabana, et La Bodeguita del Medio), le long passé terroriste de Posada Carriles, toujours lié àla CIA, ferait ànouveau surface : les attentats àla bombe étaient l’oeuvre d’un réseau de mercenaires monté par lui en Amérique centrale et financé par la FNCA. Après les attentats, dans une interview accordée àAnn Louise Bardach et Larry Rother du New York Times (12 juillet 1998), Posada affirmait que « (Jorge) Mas Canosa « contrôlait tout  » ce qui touchait aux envois d’argent  » qu’on lui faisait pour financer ses activités contre le gouvernement de Fidel Castro. Il assura qu’au fil des années, la Fondation lui a envoyé plus de 200 mille dollars ; l’argent arrivait accompagné d’un sympathique message :« C’est pour l’église  »

En mai 1998, le président Fidel Castro a envoyé àl’occupant de la Maison blanche, William Clinton, un message dont le porteur était l’écrivain Gabriel Garcia Marquez. Castro évoquait les plans terroristes contre l’île, planifiés et payés par la FNCA depuis le territoire des Etats-Unis, et qui incluaient des attentats àla bombe contre des avions de lignes commerciales qui se rendraient àCuba. Trois ans avant les attentats contre les tours jumelles de New York, Castro faisait savoir àClinton que Cuba était prête àcollaborer dans la lutte contre les activités terroristes susceptibles d’affecter les deux pays. Mais les négociations furent gelées àl’arrivée de Georges W. Bush au bureau ovale.

Aujourd’hui, depuis l’arrestation forcée du terroriste Posada Carriles àMiami, le 17 mai dernier, le « cas  » est devenu une « patate chaude  » pour Washington. Le Venezuela a demandé son extradition et les Etats-Unis sont obligés de l’envoyer àCaracas. Mais la communauté du renseignement protège son ancien soldat du temps des guerres sales ; ce qui montre bien la double morale des Etats-Unis en matière de « lutte contre le terrorisme  ».


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Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx), 6 juin 2005.

Traduction : Marie-Paule Cartuyvels, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).