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Si les Etats-Unis sont les premiers à dénoncer la corruption et l’argent sale quand ils veulent clouer au pilori un gouvernement qui ne leur plaît pas, ils restent très discrets quand il s’agit d’un pouvoir ami ou d’un Etat assurant leur approvisionnement énergétique. C’est ainsi que la banque américaine Riggs a pu, pendant des décennies, couvrir les détournements de fonds du général Augusto Pinochet au Chili ou du dictateur Teodoro Obiang Nguema en Guinée-Equatoriale.
Alors qu’il était au pouvoir entre 1973 et 1990, le dictateur chilien Augusto Pinochet s’était constitué une belle pelote pour ses vieux jours. Mais, finalement, ce sont des enquêteurs américains, chiliens et espagnols qui, désormais, en tirent les fils. Et l’ampleur de leurs découvertes ne manque pas d’étonner.
Le 16 mars 2005, deux sénateurs américains, le démocrate Carl Levin et le républicain Norm Coleman, ont présenté les résultats de leurs dernières investigations sur le blanchiment d’argent sale [1]. Ils ont mis au jour un véritable « réseau financier secret  » comprenant pas moins de 125 comptes bancaires dans divers établissements aux Etats-Unis et à l’étranger, au profit de l’ex-président chilien et de membres de sa famille. A elle seule, la Riggs Bank a géré près du quart des comptes de M. Pinochet. Bien que de taille moyenne, l’établissement financier « préféré des ambassades  » de Washington se vantait, il y a peu encore, d’être « la banque la plus importante de la ville la plus importante du monde [2]  ».
Grâce au savoir-faire et au dévouement de cette vénérable institution, un système financier complexe et illégal a été échafaudé en faveur de l’ex-caudillo, avec la complicité de banques de diverses nationalités : les américaines Citigroup et Bank of America, la britannique HSBC, la Banco de Chile, l’espagnole Banco Santander... Dans ses conclusions, le document sénatorial n’exclut pas l’existence d’autres comptes. Si les enquêteurs ne sont toujours pas parvenus à chiffrer la somme exacte accumulée pendant des années, leur estimation actuelle avoisine les 13 millions de dollars. En fait, explique M. Levin, « de nouvelles informations démontrent que le réseau financier de Pinochet aux Etats-Unis était bien plus développé, durait depuis plus longtemps et impliquait davantage d’établissements bancaires que ce que nous avions découvert précédemment [3]  ».
Le précédent rapport du Sénat américain, datant de juillet 2004, ne mentionnait qu’une somme de 4 à 8 millions de dollars déposés, entre 1994 et 2002, sur neuf comptes de la Riggs [4]. Il apparaissait déjà clairement que les divers revenus de M. Pinochet - ceux de général, de président de la République ou encore de sénateur à vie... - ne suffisaient pas à justifier de tels dépôts. Or, comme le précisera alors M. Levin, la banque « n’a averti ni la police ni la justice de leur existence [5]  », alors que la loi des Etats-Unis l’y obligeait. Bien plus qu’une simple omission, l’implication active de la Riggs dans la gestion frauduleuse de ces fonds douteux était, de fait, accablante.
En effet, au cours de différents contrôles, la banque avait toujours refusé de révéler l’identité du titulaire, affirmant qu’il s’agissait d’un « professionnel en retraite réussie  ». Alors que, entre octobre 1998 et mars 2000, l’ancien dictateur était retenu à Londres à la demande de la justice espagnole, qui instruisait contre lui des plaintes pour « génocide, tortures et disparitions  », et alors que, selon le rapport du Sénat américain, « une cour avait ordonné de geler ses comptes bancaires, Riggs l’avait tranquillement aidé à transférer des fonds de Londres aux Etats-Unis  ». Le transfert, effectué en 1999, portait sur la somme de 1,6 million de dollars. Lorsque la presse britannique avait évoqué les avoirs financiers de l’ancien dictateur, la banque avait aussitôt modifié le nom du titulaire ainsi que celui de sa femme, espérant brouiller les pistes.
La première enquête sénatoriale est tout de même parvenue à dévoiler l’existence de deux sociétés écrans, Ashburton Company Ltd. et Ashburton Trusty Althrop Investment Co. Ltd., montées de toutes pièces par la Riggs au bénéfice de M. Pinochet. Des cadres de l’établissement bancaire s’étaient obligeamment proposés comme prête-noms. Les deux sociétés ne possédaient ni bureaux ni employés. En revanche, ces coquilles vides étaient titulaires de comptes aux Bahamas, bien connues des amateurs de paradis fiscaux.
La seconde enquête sénatoriale affine la connaissance de ce réseau financier. Entre-temps, il est vrai, la Riggs avait fait preuve d’un plus grand esprit de coopération. Mais, cernée de toutes parts par les recherches, celles du Sénat, celles du Trésor américain et enfin celles de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse, la banque avait-elle vraiment le choix ? Cette coopération ne fut pas sans limites. L’établissement continua de fermer certains comptes sans avertir les autorités de la nature frauduleuse des capitaux concernés. Si bien que les agents américains échouèrent à en retracer les mouvements, comme le déplora M. Levin le 16 mars 2005 [6].
L’équipe sénatoriale est tout de même parvenue à établir que M. Pinochet avait eu recours à pas moins de dix fausses identités, ainsi qu’à des passeports diplomatiques falsifiés pour ouvrir des comptes. Au travers de la correspondance saisie, la commission sénatoriale a donné un aperçu du degré d’intimité qui avait fini par s’instaurer entre l’ancien dictateur et les plus hauts responsables de la banque, dont le PDG, M.Joe L. Allbritton (voir ci-dessous « Mon cher général Pinochet...  »).
Liquidation précipitée
Voyant l’étau judiciaire se resserrer, les banquiers ont préféré un accord amiable avec la justice à un procès retentissant qui aurait ruiné la réputation d’une institution se targuant d’avoir, en cent soixante-neuf ans d’existence, « tenu les comptes de nombreux présidents américains  ». Lorsque, en janvier 2005, le procureur fédéral du district de Columbia, M. Kenneth Wainstein, annonça le compromis, il se montra aussi sévère que le sénateur Carl Levin : « En dépit des multiples avertissements des contrôleurs, la Riggs a démarché des clients qui faisaient courir des risques élevés de blanchiment d’argent sale et les a aidés à protéger leurs opérations financières de tout examen détaillé. Ce comportement prolongé et systématique ne relevait pas seulement de la simple négligence aveugle ; c’était une violation criminelle des lois bancaires qui protègent notre système financier de son exploitation par les terroristes, les narcotrafiquants et autres criminels [7].  » Les dirigeants de la Riggs ont donc accepté de plaider coupable, de soumettre leur établissement à une mise à l’épreuve de cinq ans, et de payer une amende de 16 millions de dollars.
L’addition peut paraître salée. Mais la banque y trouve son compte. D’abord, elle n’a plaidé coupable que pour un seul chef d’inculpation, celui de n’avoir pas informé dans les délais prévus les autorités de l’origine douteuse de certains fonds alimentant ses comptes. Ce qui la classe comme établissement fautif de simple négligence, et lui permet de sauver la face alors qu’elle a joué un rôle de premier plan dans les turpitudes financières de quelques-uns de ses clients.
Pour ce qui est de la mise à l’épreuve de cinq ans, la banque en est finalement dispensée. En effet, une clause de l’accord précisait que, en cas de rachat, la mesure serait levée. Or la Riggs a été vendue à la banque PNC Financial Services, vente négociée en juillet 2004 et devenue effective le 13 mai 2005. Dans le protocole de vente, l’établissement de Pittsburgh s’engageait à débourser 779 millions de dollars pour l’acquisition de sa consÅ“ur [8]... Fair Finance Watch (FFW), qui milite contre le blanchiment d’argent sale, a condamné cette « liquidation  » précipitée [9]. L’accord amiable présentait un double avantage pour la Riggs : mettre un terme à l’enquête ouverte pour blanchiment présumé d’argent et, surtout, prémunir la banque et ses filiales contre toute nouvelle accusation pour leurs activités internationales avec les ambassades ou leurs clients privés.
Enfin, en ce qui concerne l’amende de 16 millions de dollars, on ne peut s’empêcher de relever que c’est avec l’argent sale que la banque s’est blanchie. A-t-on jamais vu un cambrioleur s’acheter une nouvelle virginité pénale avec le butin de ses vols ? Quant au général Pinochet, il espérait disposer de l’argent déposé à la Riggs pour régler ses 5 millions de dollars d’arriérés fiscaux et amendes [10]. Mais, en dépit des démarches de son avocat auprès du Trésor chilien, les autorités ont refusé de lever le gel de ses avoirs, propriétés comprises, ordonné en novembre 2004 par le juge Sergio Muñoz.
Trois semaines seulement après l’accord amiable avec la justice américaine, on apprenait que la Riggs avait également accepté une transaction avec les autorités judiciaires espagnoles [11] : elle avait payé 9 millions de dollars, reconnaissant avoir transféré 1,6 million de dollars illégalement, alors qu’un gel des avoirs financiers de l’ancien dictateur avait été ordonné. En contrepartie, Madrid s’était engagé à éteindre l’action judiciaire contre la banque et ses dirigeants. Les indemnités seront versées sur un compte administré par la Fondation Salvador-Allende, celle-là même qui, par le dépôt de ses plaintes pour génocide, avait permis l’arrestation du général Pinochet, alors en visite privée à Londres. Un million de dollars servira à couvrir les frais judiciaires, 8 millions seront destinés aux victimes de la dictature chilienne [12].
Le jour même où la transaction avec la justice espagnole était rendue publique, une indiscrétion révélait que la douzaine de hauts dirigeants de la banque s’étaient octroyé plus de 15 millions de dollars de « parachutes en or  », un montant supérieur aux indemnités négociées pour les dizaines de milliers de victimes chiliennes [13].
M. Pinochet n’est pas le seul dictateur à avoir bénéficié des compétences de la Riggs. Le dictateur Teodoro Obiang Nguema, qui dirige la Guinée-Equatoriale d’une poigne de fer, y a déposé jusqu’à 700 millions de dollars. Ce qui fait de ce despote africain le premier client de la banque. Depuis son accession à l’indépendance, en 1968, la Guinée-Equatoriale n’a connu que la terreur, d’abord sous la férule de MacÃas Nguema, puis sous celle de son neveu, M. Obiang Nguema, qui, en 1979, à la faveur d’une révolution de palais, a renversé son oncle et l’a fait passer par les armes.
Le nouveau maître prit possession d’un pays qui, à la fin des années 1970, était l’un des plus pauvres du monde. Cela n’empêcha nullement M. Obiang Nguema et sa famille de s’emparer des meilleures exploitations agricoles, de prélever une dîme sur à peu près tout ce que la nation parvenait encore à produire. Le tyran fit de cet Etat confetti, aujourd’hui peuplé d’un peu plus de 500 000 âmes, sa propriété personnelle.
Au début des années 1990, les prospections pétrolifères conduites par des firmes américaines se révélèrent fructueuses. En quelques années, la Guinée-Equatoriale se hissa au troisième rang des producteurs subsahariens de pétrole, derrière l’Angola et le Nigeria, devant le Gabon et le Congo. Mais le pétrole ne métamorphosa pas pour autant le régime, ni le sort de la population. Sur le papier, par tête d’habitant, c’est l’un des pays les plus riches du continent. Dans la réalité, c’est l’un des plus misérables.
En 1992, la firme Walter International Inc. produisait les premiers barils de pétrole. Aujourd’hui encore, les compagnies américaines - ExxonMobil, Amerada Hess, Marathon Oil [14]... - conservent le monopole de la production équato-guinéenne. Selon le journaliste Peter Maass, ce pays « ressemble parfois à une caricature de kleptocratie pétrolière [15] ». Alors que les revenus du pétrole augmentent de manière exponentielle (3 millions de dollars en 1993, 210 millions en 2000, 700 millions en 2003) [16], 65 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Et tandis que les pétrodollars coulent à flots, l’eau courante manque toujours, de même que l’électricité. Ce n’est pas la richesse de la nation qui augmente, mais le pillage par le clan au pouvoir. Comme le reste de la production, la rente pétrolière est massivement détournée par le satrape et sa famille, avec la complicité active d’entreprises américaines et... de la Riggs Bank.
En 1995, la Riggs ouvrait un compte pour l’ambassade de Guinée-Equatoriale à Washington, le premier d’une longue série. Le rapport sénatorial américain fait apparaître que, entre 1995 et 2004, l’établissement a géré « plus de 60 comptes bancaires pour le gouvernement de Guinée-Equatoriale, ses membres et leurs familles (...) en fermant les yeux sur des indices laissant penser qu’ participait à des opérations de corruption [17]  ».
Une petite partie du scandale
Les treize millions de dollars de M. Pinochet font quelque peu amateur comparés aux 700 millions de M. Nguema. Et pour cause : il y a confusion entre les revenus nationaux et les finances personnelles du dictateur. En Guinée-Equatoriale, une entreprise étrangère ne peut pas s’établir sans ouvrir son capital à des partenaires locaux, forcément issus du clan gouvernemental. Ce qui n’était qu’une pratique courante a été officialisé en 2004 par un décret présidentiel qui, pour le secteur pétrolier, impose une ouverture du capital à hauteur de 35 %.
Concernant la rente pétrolière, les compagnies américaines versent directement les revenus sur les comptes de la Riggs à Washington. Et quel que soit le compte officiel ouvert au nom de l’Etat de Guinée-Equatoriale, les signatures sont celles du président ou d’un membre de sa famille. L’enquête sénatoriale est parvenue à identifier quelques-uns de ces mouvements de capitaux. Florilège d’un bréviaire de la corruption : « Plus de 35 millions de dollars ont été versés par les compagnies pétrolières, virés à deux sociétés établies dans des paradis fiscaux, à partir d’un compte sur lequel le président Obiang, son fils, ministre des mines, et son neveu, secrétaire d’Etat au Trésor, avaient la signature.  » [Riggs] « a permis entre 2000 et 2002 des dépôts d’argent liquide d’un montant total de près de 13 millions de dollars sur des comptes contrôlés par le président et son épouse.  » La banque a accordé au couple présidentiel « des prêts pour l’achat d’un avion, de résidences de luxe aux Etats-Unis notamment  ».
Lors de la présentation du rapport de juillet 2004, le sénateur Levin a souligné le peu d’empressement de la banque à coopérer. Il a ainsi expliqué qu’un responsable de l’établissement avait, lors de son audition, refusé de répondre aux questions. M. Simon Kareri, chargé des comptes équato-guinéens à la Riggs, aurait pourtant eu beaucoup à raconter. Selon le rapport, par deux fois au moins, ce haut cadre avait pris livraison, à l’ambassade à Washington, de valises « contenant 3 millions de dollars en coupures pour les déposer sur des comptes du président équato-guinéen  ».
La Riggs s’est mise au service de M. Nguema à un moment où le dictateur avait été placé au ban de la communauté internationale. Pourtant, des organisations comme Amnesty International dénonçaient le recours systématique à la torture ; l’Observatoire géopolitique des drogues considérait la Guinée-Equatoriale comme « une des plaques tournantes du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe  »... Au point que tous les pays occidentaux, à l’exception notable de la France, avaient fermé leurs ambassades.
Ironie de l’histoire, la Riggs doit rompre avec le dictateur au moment où celui-ci est courtisé comme jamais par les chancelleries occidentales. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont décidé de réduire leur dépendance pétrolière vis-à -vis du Proche-Orient et d’augmenter leurs importations de brut en provenance d’Afrique de l’Ouest. Dès lors, le golfe de Guinée est considéré comme une zone d’« intérêt vital  » pour la politique américaine. Hier encore pestiférée, la Guinée-Equatoriale devient fréquentable par la grâce de ses prometteuses réserves de pétrole. Au cours de l’année 2002, le président Bush a rencontré à plusieurs reprises, à Washington, des chefs d’Etat africains pour discuter avec eux de la sécurité militaire et énergétique. Parmi ses interlocuteurs, M. Nguema. Huit ans après sa fermeture, l’ambassade des Etats-Unis fut rouverte à Malabo, la capitale. Les uns après les autres, les pays occidentaux ont emboîté le pas à Washington.
Après avoir menacé de poursuivre la presse internationale pour « ses commentaires tendancieux [18]  », le président Nguema a fermé tous ses comptes à la Riggs. D’autres banques se sont aussitôt mises sur les rangs, notamment l’espagnole Banco Santander ou la britannique HSBC, deux établissements déjà cités dans l’affaire du dictateur chilien.
D’une certaine manière, MM. Nguema et Pinochet sont des « victimes collatérales  » des attaques du 11-Septembre. Leurs fonds prospéraient en silence, quand la commission des affaires gouvernementales du Sénat décida d’enquêter sur le financement des organisations terroristes. L’Arabie saoudite se retrouva alors sur la sellette, au travers d’organisations caritatives et de personnalités telles que la princesse Haïfa Al-Fayçal, épouse du prince Bandar, ex-ambassadeur saoudien aux Etats-Unis [19]. Les recherches conduisirent tout naturellement à la banque des diplomates. C’est en menant leurs investigations sur les 150 comptes saoudiens de la Riggs que les enquêteurs découvrirent des mouvements de capitaux frauduleux concernant d’autres clients. Le 14 mai 2004, les autorités américaines condamnaient l’honorable institution à payer une amende de 25 millions de dollars pour avoir violé la loi, de façon « délibérée et systématique [20]  », comme l’affirmaient les contrôleurs fédéraux.
Les rapports officiels n’ont fait pour l’instant émerger qu’une partie de l’iceberg. De semblables recherches pourraient être menées à propos des comptes du président défunt du Togo, M. Gnassingbé Eyadéma, mais aussi de comptes en provenance du Mozambique ou du Bénin...
Les dirigeants de la banque eux-mêmes mériteraient une enquête, si l’on en croit la presse américaine. Depuis le début des années 1980, la Riggs est détenue majoritairement par son PDG, M. Joe L. Allbritton, ancien homme d’affaires de Houston et grand ami de la famille Bush. En 1997, la Riggs a d’ailleurs acheté, pour 5,5 millions de dollars, la petite société d’investissement fondée par M. Jonathan Bush, l’oncle de l’actuel président. Devenu l’un des hauts responsables de la banque, Jonathan a participé très généreusement au financement de la campagne présidentielle de son neveu. M. Allbritton, lui, se contente de figurer parmi les bailleurs de fonds de la Fondation du président George Bush.
« Mon cher général Pinochet...  » Des boutons de manchette, une boîte en lapis-lazuli, des jeux vidéo..., ce sont là quelques-uns des cadeaux que l’ancien dictateur et les plus hauts dirigeants de la Riggs se sont échangés au cours de divers thés et autres réceptions donnés au club militaire de Santiago. Le temps passant, les contacts personnels entre M. Augusto Pinochet et M. Joe L. Allbritton, PDG de la Riggs, sa femme Barbara, ainsi que M. Timothy C. Coughlin, président de la banque, se sont transformés en une touchante amitié, dont témoignent les lettres saisies par la commission sénatoriale américaine. En octobre 1994, une délégation de la Riggs, conduite par son président, M. Coughlin, se rend au Chili.Vice-présidente du département Amérique latine, Mme Carol Thompson rédige un mémorandum : « A la fin des années 1970, la mission militaire chilienne à Washington a transféré ses dépôts bancaires au Canada. Cela était directement lié à l’assassinat, en 1976, de l’ambassadeur chilien Letelier [21]. En juillet 1994, les comptes officiels ont été rapatriés à la Riggs (...). Nous avons également offert nos services bancaires personnels au général Pinochet.  » Le 4 novembre 1994, M. Coughlin écrit à M. Pinochet pour lui renouveler l’offre de la banque : « Ce serait un honneur pour nous de vous ouvrir un compte et de vous assister dans toutes vos opérations bancaires effectuées en dehors du Chili. (...) Je veux que vous sachiez que j’ai exposé bien en évidence, dans mon bureau de la Riggs, le très beau médaillon que vous m’avez offert, et je serais heureux de vous le montrer si jamais vous décidiez de visiter Washington et bien sà »r la Riggs Bank.  » En février 1996, M. Allbritton est invité à assister au derby Viña del Mar, la course hippique la plus prestigieuse du Chili, et il est reçu à l’école militaire de cavalerie de Quillota. De retour aux Etats-Unis, il adresse ces mots au général : « Ce fut évidemment un plaisir personnel de passer une journée avec vous à Quillota et d’avoir eu l’occasion de vous faire part de notre gratitude pour les relations de longue date entre les forces armées chiliennes et la Riggs Bank. (...) Le Chili est vraiment un pays très impressionnant, doté, grâce à vous, à la politique et aux réformes que vous avez instaurées, d’un avenir prometteur. Comme je vous l’ai dit, je ne serai que trop heureux de vous aider, vous et votre pays, autant que je le pourrai à Washington. Je veux vous remercier pour les magnifiques boutons de manchette que vous m’avez offerts. Sachez que vous serez le bienvenu si vous nous rendez visite, à ma femme Barby et à moi-même, dans notre maison de Middleburg, en Virginie (...).  » En octobre 1997, une délégation de dirigeants de la Riggs se trouve au Chili. Elle offrira deux jeux vidéo au général. L’après-midi du 29 octobre, M. Pinochet et son fils Marco Antonio organisent un thé en l’honneur de M. et Mme Allbritton au club militaire Lo Curo de Santiago. Ce qui leur vaut cette lettre : « Cher général Pinochet. A peine de retour d’Amérique du Sud, Barby et moi tenons à vous exprimer notre sincère gratitude pour l’accueil chaleureux que vous nous avez réservé. (...) Soyez assuré, vous et votre gouvernement, de trouver en la Riggs un solide avocat. Je partage pleinement votre vision sur l’intensification des relations économiques et commerciales entre nos deux pays. J’ai le plaisir de vous annoncer que les relations d’affaires entre la Riggs et l’armée chilienne prospèrent. Je vous suis également reconnaissant de notre amitié personnelle grandissante, dont témoignent votre gracieuse hospitalité ainsi que votre fidèle soutien à la Riggs. Vous avez débarrassé le Chili de la menace d’un gouvernement totalitaire et d’un système économique archaïque fondé sur la propriété étatique et la planification centralisée. Les Etats-Unis, ainsi que le reste du monde occidental, vous en sont très redevables, et je suis sà »r que votre héritage assurera à nos enfants et petits-enfants un monde plus prospère et mieux protégé. Je vous remercie pour vos merveilleux cadeaux à Barby et moi-même, ainsi que pour les livres d’histoire, que j’ai trouvés passionnants.  » A son tour, Mme Allbritton se confond en remerciements : « Mon cher général Pinochet. Ce fut un immense plaisir et honneur que d’être avec vous mercredi au thé du club militaire. (...) J’utiliserai et exposerai avec beaucoup de fierté l’élégante boîte en lapis-lazuli que vous m’avez si gentiment donnée. Elle me rappellera ces moments particuliers passés en votre compagnie. (...) A présent, je suis enchantée à l’idée de rencontrer votre famille et de voir notre relation d’amitié s’intensifier davantage. Avec considération et respect pour vous et tout ce que vous avez fait pour notre monde.  » Enfin, le président de la Riggs : « Cher général Pinochet. (...) L’occasion pour nous tous et nos épouses de vous rencontrer, vous et votre fils, Marco Antonio, a été un plaisir particulier. je viens tout juste de terminer The Crucial Day [22]. L’objectivité factuelle avec laquelle vous relatez l’histoire du Chili au début des années soixante-dix est à la fois fascinante et instructive. L’histoire permet un jugement juste et convenable, à condition que la réalité des faits soit connue.  » Actuellement, M. Pinochet est sous le coup de plusieurs inculpations dans son pays, en Espagne et en France. |
[1] Norm Coleman et Carl Levin, Money Laundering and Foreign Corruption : Enforcement and Effectiveness of the Patriot Act. Supplement Staff Report on US Accounts Used by Augusto Pinochet, Permanent Subcommittee on Investigations, United States Senate, 16 mars 2005.
[3] « Levin-Coleman staff report discloses web of secret accounts used by Pinochet  », communiqué du 16 mars 2005.
[4] Norm Coleman et Carl Levin, Money laundering and Foreign Corruption : Enforcement and Effectiveness of the Patriot Act. Case Study Involving Riggs Bank, Minority Staff of Permanent Subcommittee on Investigations, United States Senate, 15 juillet 2004.
[6] « Levin-Coleman staff report...  », art. cité.
[7] Marcy Gordon, « DC’s Riggs Bank admits illegal favors for foreigners  », The Enquirer, Cincinnati, 28 janvier 2005.
[8] En février 2005, PNC a révisé son offre à la baisse : 654 millions de dollars.
[9] Fair Finance Watch/Inner City Press, 16 aoà »t 2004, www.innercitypress.org
[10] Emily Byrne, « Pinochet offers hidden millions to repay Chile’s treasury  », The Santiago Times, 7 février 2005.
[11] LatinReporters.com, « Chili-Pinochet : la banque américaine Riggs indemnisera les victimes de la dictature  », 26 février 2005.
[12] Lire José Maldavsky, « Le linge sale de la dictature chilienne  », Le Monde diplomatique, avril 2005.
[13] Fair Finance Watch/Inner City Press, 28 février 2005.
[14] Marathon Oil a décidé de se retirer de Guinée-Equatoriale à la suite de l’affaire Riggs.
[15] Peter Maass, « A touch of crude  », Mother Jones, San Francisco, janvier-février 2005.
[16] Ces chiffres sont ceux de la Banque mondiale. Pour le président Obiang, les revenus du pétrole relevaient, il y a peu encore, du « secret d’Etat  ».
[17] Cf. Coleman et Levin, Money Laundering and Foreign corruption..., op. cit.
[18] Agence France-Presse, 22 juillet 2004.
[19] La princesse Haïfa Al-Fayçal plaidera la bonne foi. Elle affirmera que c’est à son insu que l’argent versé à une ressortissante saoudienne pour couvrir ses dépenses d’hospitalisation atterrissait sur les comptes d’étudiants en relation avec deux des terroristes du 11-Septembre.
[20] Kathleen Day, « Fed order puts Riggs under closer oversight  », Washington Post, 15 mai 2004.
[21] En septembre 1976, Orlando Letelier, ancien ministre et ambassadeur du gouvernement de Salvador Allende, est retrouvé mort et mutilé, après l’explosion de sa voiture, alors qu’il était en exil à Washington.
[22] Augusto Pinochet Ugarte, The Crucial Day : September 11-1973, Editorial Renacimiento, Santiago, 1982. Dans ce livre d’entretiens, l’ancien dictateur expose sa version du coup d’Etat militaire.
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