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L’Etat andin a désigné une Assemblée constituante, qui doit rénover en profondeur le pays. Un plébiscite pour le camp du président Rafael Correa.
« Hasta la victoria siempre, compañeros. » Dimanche soir, devant les caméras, le charismatique président équatorien Rafael Correa révisait ses classiques et semblait convaincu d’une chose : d’ici peu, l’Equateur aura enfin la possibilité de prendre son destin en main. Grâce aux 60-70% de sièges que son camp s’est assuré dans la future Assemblée constituante, dont l’élection a mobilisé 9 millions de citoyens, le petit Etat andin aura la possibilité de rénover en profondeur sa carta magna. Et de lui insuffler une bonne dose de progressisme. Les résultats définitifs ne tomberont pas avant une vingtaine de jours, mais les premières estimations donnent 70 sièges – sur 130 – à la formation présidentielle, Acuerdo Pais (ex-Alianza Pais), et plusieurs autres à ses alliés, comme le Movimiento Popular Democratico (3 élus) ou Pachakutik (1 élu).
Du côté de l’opposition, la liste 3 du Partido Sociedad Patriotica de l’ex-président Lucio Guitiérez, destitué en 2005 après avoir trahi le mouvement indigène qui l’avait porté au pouvoir, obtiendrait 15 sièges [1]. Quant au Partido Renovador Institutional Accion National (PRIAN) du candidat malheureux à la présidentielle de novembre dernier, le milliardaire bananier Alvaro Noboa, il obtiendrait sept sièges.
Egalité hommes - femmes
Ce qui frappe, sur les murs de la capitale, c’est la quasi absence d’affiches partisanes. Il faut dire que la publicité, durant les 45 jours qu’a duré la campagne, était strictement réglementée, avec une volonté d’offrir le même espace de propagande aux nombreuses formations ou partis participant au scrutin. De plus, une attention particulière a été portée à l’égalité de genre : sur les deux gigantesques feuilles de vote, comportant les 3 200 bobines des candidats, le nombre de femmes équivalait au nombre d’hommes.
Mais pourquoi une nouvelle constitution ? La dernière datait de 1998 – et le pays en est à son 19e changement constitutionnel depuis son indépendance en 1822. « On est latins : on croit que les lois peuvent résoudre tous les problèmes  », plaisante Alberto Acosta. Ex-ministre de l’Energie du gouvernement Correa, le fringant « assembléiste  », élu sur la liste d’Acuerdo Pais, est le futur président de l’Assemblée. Il est convaincu que le nouveau texte sera « la base pour construire un Equateur meilleur  », qui se prenne en main et s’affranchisse de la partitocratie corrompue, mais aussi du pétrole, principal revenu du pays – la seconde source de devises étant l’argent que les 2 à 4 millions d’émigrés, selon les chiffres, envoient à leur famille depuis l’extérieur. Le pays, rappelons-le, compte plus de 70% de pauvres.
Comme en Bolivie ?
« L’Equateur ne changera jamais  », estime Maria, à la sortie du bureau de vote du Colegio Miguel La Salle de Quito. Elle a certes voté, « mais parce que c’est obligatoire  ». « C’est un gaspillage d’argent, abonde Cinthia, au même endroit. Surtout, il faudrait commencer par faire appliquer les lois déjà existantes.  » Un avis que ne partage pas Veronica : « Certains passages de l’actuelle constitution sont clairement en faveur des puissants, il faut les changer.  » Quant à Amparo, elle pense qu’il est important de rénover les lois et lance un « ne sois pas pessimiste  » à son copain Romulo lorsqu’il exprime sa crainte de voir le processus « s’embourber, comme en Bolivie  ». La large victoire du camp présidentiel et le fait que les décisions de l’Assemblée se prendront à la majorité simple – et non des deux tiers, comme dans le pays d’Evo Morales – devrait empêcher la Constituante de tourner en rond.
Concrètement, l’Assemblée aura les pleins pouvoirs – et ceci dès le 31 octobre, probablement. Sa première décision sera la dissolution du Congrès, qui ne comprend aucun membre du mouvement présidentiel, puisque M. Correa avait fait le pari de ne présenter aucun candidat aux dernières élections et de lancer au plus vite une rénovation de la Constitution. Le 15 avril dernier, les Equatoriens avaient plébiscité le principe d’une constituante par plus de 80% des suffrages.
Six mois pour rédiger
Pour compenser l’absence de pouvoir législatif, une partie de la Constituante reprendra ce rôle, pendant que l’autre rédigera le nouveau texte. « Il pourrait y avoir des problèmes, prédit Alberto Costa, car les congressistes ne voudront pas simplement rentrer à la maison.  » La rédaction durera six mois, avec une prolongation possible de deux mois, après quoi le texte serait soumis au peuple par référendum – une manière de rassurer l’opposition.
Reste que les Noboa et autres leaders de l’opposition n’ont eu de cesse, durant la campagne, d’agiter le spectre du risque totalitaire, amplement relayés par une partie des médias, que Correa accuse de vouloir se poser en parti d’opposition – « Arrêtez de mobiliser le pays contre nous  », a-t-il encore martelé dimanche. Correa, futur caudillo ? « On fera tout pour que ça n’arrive pas  », rigole Alberto Acosta.
« L’Église l’adore !  »
Avec plus de 80% d’opinions favorables, Rafael Correa bénéficie actuellement d’une très grande popularité – tout le contraire des institutions, honnies des Equatoriens. « Il plaît à toutes les générations et classes sociales, dans tout le pays  », estime Adrian Bonilla, directeur de la Faculté latino-américaine de sciences sociales de Quito. Cet analyste politique respecté décrit le président équatorien comme un « personnage exceptionnel, exubérant et très travailleur, par ailleurs doté d’une équipe de publicitaires étasuniens très au point...  »
Parmi les soutiens à M. Correa – économiste de gauche qui s’est formé en Belgique et aux Etats-Unis – on trouve l’Eglise catholique. « Elle l’adore !, assure Adrian Bonilla. Ex-boy scout, Rafael Correa a grandi dans une école salésienne et a bénéficié de bourses de l’Eglise pour toutes ses études. Même Ratzinger l’aime !  » Sans doute moins pour sa politique progressiste que parce qu’il est fermement opposé à l’avortement et qu’il n’approuve pas l’homosexualité.
[1] Le PSP est salué sur un mur de Quito d’un grand « Votez liste 3, pour qu’ils nous volent une nouvelle fois  ».
Source : Le Courrier (http://www.lecourrier.ch), Genève, 2 octobre 2007.