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Le premier tour des élections générales péruviennes, dimanche 9 avril, a délivré son verdict : malgré une campagne électorale très agressive à son égard, le candidat nationaliste, Ollanta Humala, s’est imposé avec plus de 30 % des voix. (...)
Malgré des sondages qui lui attribuaient un score plus important, ce résultat est un véritable succès pour Humala, que les États-Unis perçoivent comme un potentiel « second Chavez  », et que la bourgeoisie péruvienne craint de voir accéder à la fonction présidentielle. Ainsi, la veille de l’élection, Alejandro Toledo, président en exercice, s’adressa aux Péruviens par le biais d’un « message à la nation  » télévisé, au cours duquel il déclara qu’il fallait que le peuple « réfléchisse  », et ne vote pas « pour une candidature qui représente l’instabilité et l’autoritarisme  ». En somme, une attaque directe à l’encontre de Humala.
Le jour même de l’élection fut marqué par un événement inattendu : au moment de voter dans une université privée située dans un quartier bourgeois de Lima, Humala a dà » faire face à un demi millier de militants de droite criant « Asesino !  » (« Assassin !  »). Une fois dans le bureau de vote, il se vit littéralement bloqué durant plus d’une heure : une scène pour le moins surréaliste, qui n’a été possible que grâce à la passivité de forces de police.
L’incident, loin d’être anecdotique, souligne toute l’ambiguïté du personnage qui, aujourd’hui, fédère les aspirations de la majorité des couches populaires. Accusé, tout au long de la campagne, de violation des droits humains, Humala est suspecté d’avoir participé, en tant que militaire, à des actes de torture, en 1992, alors que l’ancien président, Alberto Fujimori, menait sa « guerre contre la subversion  » à l’encontre d’un Sentier lumineux - la guérilla maoïste d’Abimaë l Guzman, née quelques années plus tôt - particulièrement actif au sein de la paysannerie péruvienne. Des accusations que, paradoxalement, l’État ne peut prouver, sous peine de discréditer l’ensemble de l’armée elle-même. Il est également soupçonné d’avoir tissé des liens avec la « mafia militaire  » de Vladimir Montesinos, l’ancien chef de l’armée sous Fujimori, liens qui n’auraient été rompus qu’après sa rébellion contre ce dernier, à Tacna, dans le sud du Pérou, aux côtés de son frère, Antauro, en 2000.
Dans un cadre électoral polarisé à l’extrême, le succès de Humala s’explique en partie par l’état d’errance d’une gauche dont une partie s’est fourvoyée dans le « fujimorisme  », et qui est aujourd’hui totalement absente du panorama politique. Militaire de carrière ayant initialement épousé « l’ethnocacérisme  », une idéologie nationaliste teintée de racisme élaborée par son père Isaac, et dont se revendique toujours son frère actuellement emprisonné après une nouvelle rébellion armée en janvier 2005, Ollanta a, depuis son entrée en politique l’an dernier, considérablement modéré son discours, lui donnant un caractère plus clairement nationaliste, désormais fondé sur la récupération des ressources naturelles du pays.
Se revendiquant « ni de droite, ni de gauche  », développant une gestuelle dans le plus pur style du caudillo latino-américain, c’est pourtant lui qui parvient aujourd’hui à donner une voix aux secteurs sociaux les plus appauvris du Pérou, notamment le sud andin. Il nourrit également l’espoir d’un coup d’arrêt à une politique économique que Toledo, en signant, mercredi 12 avril, un traité de libre-échange (TLC) avec les États-Unis, prétend mener jusqu’au bout de son mandat. C’est là tout l’enjeu du second tour qui aura lieu le dimanche 4 juin.
ENTRETIEN AVEC OLLANTA HUMALA
En janvier dernier, alors que le président bolivien, Evo Morales, était investi, l’hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) « Rouge  » a rencontré Ollanta Humala, candidat à la présidence du Pérou. Plaidant pour la rupture avec le néolibéralisme, cet ex-militaire se situe à la croisée du nationalisme et de l’indigénisme.
Evo Morales est le premier président indigène de Bolivie. Que ressentez-vous ?
Beaucoup de bonheur ! C’est l’expression d’un processus politique qui donne une nouvelle orientation et un nouveau visage à l’Amérique latine. De nouveaux leaders viennent de nombreux secteurs sociaux, populaires et divers, dont il était impensable, il y a seulement vingt ou trente ans, qu’ils accèdent au pouvoir. Je crois qu’Evo Morales fait partie de cette génération de leaders qui vont donner une nouvelle impulsion à l’Amérique latine dans un contexte mondial.
Pensez-vous faire partie de cette nouvelle génération de leaders ?
Bien sà »r ! J’ai huit mois d’ancienneté en politique. Jusqu’alors, j’étais militaire en poste en France et, en à peine huit mois, nous sommes parvenus à atteindre la première place dans les sondages. Ceci est l’expression d’un courant progressiste en Amérique. L’Amérique est épuisée par le néolibéralisme, qui n’a apporté aucun des bénéfices que ses défenseurs promettaient. Nous voulons reconstruire notre modèle économique. Nous voulons doter les masses de ce pays, qui n’ont jamais été protégées par la loi, d’une nouvelle citoyenneté. Nous faisons en sorte de leur donner une éducation de qualité, un système de santé fiable...
De quelle manière la victoire de Evo Morales pèse sur votre propre campagne ?
Je crois que c’est important que Morales parvienne à consolider sa position en Bolivie. Je vois beaucoup de joie sur le visage des Boliviens. Ce processus va nous aider, si nous arrivons au pouvoir, à construire avec Evo Morales un agenda commun entre la Bolivie et le Pérou, comme par exemple sur le gaz, la culture de la coca, la dette... Autant de thèmes qui dépassent les frontières de nos deux pays. Dans mon cas, j’ai une ambition à long terme, qui est de mener à bien un projet d’intégration entre la Bolivie et le Pérou.
Justement, concernant la feuille de coca, quelle est votre position exacte sur le sujet ? Pensez-vous qu’il s’agit d’une culture andine traditionnelle qu’il faut défendre ?
Bien sà »r, à l’évidence ! La feuille de coca fait l’objet aujourd’hui d’une confusion totale avec la cocaïne, alors qu’elle représente une culture ancestrale, quoi que veuillent en penser les États-Unis. En ce sens, nous sommes donc partisans de sa dépénalisation et nous avons vocation à défendre les cultivateurs de coca péruviens.
Votre passé militaire et votre participation à une tentative de coup d’État contre l’ex-président Fujimori, en 2000, ont contribué à donner de vous l’image d’un dangereux populiste autoritaire, voire d’un fasciste. Comment réagissez-vous à ces accusations ?
On veut effectivement me discréditer à travers ces affirmations. J’ai effectivement participé à une tentative de coup d’État mais, aujourd’hui, nous parions sur la voie électorale pour changer notre pays et rompre avec le néolibéralisme sur une base nationaliste et progressiste, en solidarité avec l’ensemble des régimes latino-américains qui s’engagent dans une perspective similaire à la nôtre. De plus, le fascisme a toujours défendu le grand capital, alors qu’en ce qui me concerne, je défends les petits producteurs et les Péruviens les plus pauvres.
Propos recueillis par Hervé Do Alto
Source : Rouge (www.lcr-rouge.org/), n°2154, avril 2006.