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Le succès paradoxal d’Evo Morales
par Benito Pérez
7 juillet 2006

Un plĂ©biscite. Les Ă©lecteurs boliviens ont confirmĂ© dimanche en masse leur soutien au Mouvement au socialisme (MAS) d’Evo Morales, envoyant une majoritĂ© d’Ă©lus du parti au pouvoir Ă la future AssemblĂ©e constituante. S’il n’a pas transformĂ© en votes les 75% d’approbation populaire du prĂ©sident, le MAS dĂ©passe nettement les 54% obtenus par M. Morales lors de son Ă©lection en dĂ©cembre 2005. Il s’impose en outre comme le seul parti possĂ©dant une rĂ©elle assise nationale. Avec ses victoires dans les bastions de l’oligarchie bolivienne - Santa Cruz, Tarija et la circonscription rĂ©sidentielle de La Paz - Evo Morales inflige un magistral camouflet Ă l’opposition. Agiter l’Ă©pouvantail d’une prĂ©tendue intrusion du prĂ©sident vĂ©nĂ©zuĂ©lien Hugo Chávez dans les affaires boliviennes ou afficher un mĂ©pris plus ou moins marquĂ© envers les peuples andins ne suffit pas Ă fonder une politique.

A contrario, le succès des candidats du MAS tĂ©moigne de l’attachement populaire envers le projet de transformation sociale et Ă©conomique mis en oeuvre depuis cinq mois. La volontĂ© affichĂ©e par le gouvernement de mieux rĂ©partir la terre et les fruits des ressources naturelles mais aussi la lutte engagĂ©e contre la corruption et une pratique du pouvoir plus proche du peuple expliquent sans aucun doute ce raz-de-marĂ©e Ă©lectoral.

La forte participation et le calme - inhabituel - dans lequel s’est dĂ©roulĂ© le scrutin constituent aussi d’excellentes nouvelles pour M. Morales. Après une dizaine d’annĂ©es d’agitation sociale, la Bolivie semble dĂ©sormais capable de se saisir des problèmes de ses citoyens dans le cadre d’institutions dĂ©mocratiques lĂ©gitimĂ©es. FatiguĂ©s de l’instabilitĂ© chronique de leur pays, les Boliviens apprĂ©cient cela plus qu’on ne l’imagine.

Reste un paradoxe douloureux. Si cette Ă©lection constitutionnelle renforcera indĂ©niablement l’action gouvernementale, son projet de rĂ©forme constitutionnelle paraĂ®t, lui, fortement compromis. Par la faute d’une loi Ă©lectorale gĂ©nĂ©reusement concĂ©dĂ©e Ă l’opposition, le MAS et ses alliĂ©s n’atteignent pas les deux tiers des sièges nĂ©cessaires Ă l’adoption de la future Constitution.

Certes, on conçoit qu’un parti promouvant un projet d’intĂ©gration nationale se refuse Ă exclure les minoritĂ©s politiques, fussent-elles les reprĂ©sentantes des maĂ®tres Ă©conomiques du pays. L’Ă©criture d’une charte fondatrice exige un minimum de consensus sans lequel sa lĂ©gitimitĂ© sera sans cesse contestĂ©e.

Cet impératif de dialogue est souligné par le résultat du référendum sur les autonomies départementales, tenu également dimanche. Avec quatre départements tropicaux désireux de conserver leurs ressources naturelles et cinq provinces andines réclamant leur part au nom de la solidarité nationale, le gouvernement bolivien se doit de tout mettre en oeuvre pour empêcher que les discours chauvins et sécessionnistes de prospérer.

Il n’en reste pas moins qu’Evo Morales a pris un risque important. Si, malgrĂ© la pression populaire qui ne manquera pas de s’exprimer autour des constituants, une minoritĂ© de blocage venait Ă empĂŞcher la « refondation » de la Bolivie en un Etat plurinational, l’Ă©chec serait très durement ressenti. Et l’on sait que le mouvement indigène n’est pas tendre avec ceux qui manquent Ă leurs promesses.


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Source : Le Courrier (->www.lecourrier.ch]), 4 juillet 2006.

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