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Les récentes élections pour l’Assemblée constituante [2 juillet 2006] représentent la fin de la transition politique en Bolivie. Le tableau qui en ressort, en dépit du solide triomphe du Mouvement vers le Socialisme (MAS) du président Evo Morales, ressemble beaucoup plus à un ballottage qu’à la victoire électorale implacable de décembre 2005. Le MAS n’ayant pas obtenu les deux tiers de l’Assemblée, la droite vaincue a la possibilité de mettre son veto à la refondation du pays - objectif pour lequel des milliers de Boliviens ont combattu dans les rues durant cinq ans et pour lequel des centaines sont morts -, en limitant le projet de changements à une simple réforme de la Constitution.
Il est certain que de plusieurs points de vue, comme l’a indiqué Evo, les élections du dimanche 2 juillet représentent un important triomphe pour son gouvernement. Elles consolident la majorité sociale qu’il avait obtenue lors des élections présidentielles de décembre dernier, en passant de 54% à environ 60% des votes. Il gagne la majorité absolue dans l’Assemblée avec 134 des 255 constituants. Et il obtient que ne soit pas approuvé le projet d’autonomie [départementale] qu’arborait la droite séparatiste basée dans la région orientale (en particulier à Santa Cruz et Tarija), où se trouvent les ressources d’hydrocarbures boliviennes. Dans ces départements stratégiques, le MAS a progressé et est en condition de disputer la majorité à la droite. [1]
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, les élections à la Constituante se sont transformées en exemple des difficultés à promouvoir des changements de fond. Les limites viennent de la loi elle-même qui a convoqué l’Assemblée, et affectent autant la possibilité de modifier l’échafaudage institutionnel que les changements dans la culture politique hégémonique, ancrée dans la représentation par le biais des partis politiques. L’article 25 de la loi établit que pour pouvoir approuver de nouveaux articles dans la Constitution, deux tiers des constituants sont requis. Le MAS est très loin des 170 votes nécessaires et, avec seulement 134 élus, il devra effectuer d’importantes concessions à la droite. Le résultat le plus probable sera quelques changements mineurs alors que le fond ne changera pas.
Deuxièmement, la manière dont fut convoquée la Constituante a consolidé le système de partis. La Loi de convocation de la Constituante n’a accepté que la présentation de candidats issus de partis ou de groupements formels, et a mis des obstacles à la participation directe des mouvements et des peuples indigènes, qui n’ont pu le faire qu’à travers le MAS, ce qui remet en question leur autonomie.
A en juger par d’autres expériences récentes en Amérique latine, en particulier le processus constituant équatorien des années 90, les résultats seront médiocres et très loin de la « refondation  » annoncée de la Bolivie. Aussi douloureux soit-il, il faut reconnaître qu’une demande née des mouvements, défendue à l’aide de soulèvements massifs depuis la « guerre de l’eau  » de l’an 2000 à Cochabamba, restera coincée dans les méandres d’une bureaucratie étatique qui tend à se consolider. Que la machinerie étatique coloniale soit recouverte de ponchos et de polleras [la jupe traditionnelle des femmes indigènes] ne modifie pas de manière substantielle les habitudes ni les modes de fonctionnement.
Mais la nouvelle conjoncture - une conjoncture dominée par les limites rencontrées par les changements - n’est pas tombée du ciel. C’est une construction politique et idéologique promue par une lecture de la réalité qui parlait d’un « ballottage catastrophique  », après un cycle de luttes de cinq ans (2000-2005) qui a désarticulé le projet néo-libéral en Bolivie et les forces politiques qui en ont pris la tête.
Intellectuels et hommes politiques, dont le vice-président Alvaro GarcÃa Linera, ont adhéré à la thèse gramscienne et l’ont utilisée comme alibi pour indiquer que la seule issue était la voie électorale.
Quelle est cette lecture de la réalité, qui met l’accent sur un « ballottage catastrophique  » ? De quel angle voit-on la réalité pour arriver à cette conclusion ? Le concept lui-même évoque une situation entravée, immobile, et implique un regard depuis le haut. Toutefois, ce n’est pas cette réalité que présente la Bolivie depuis le début des années 2000, quand les mobilisations massives, baptisées « guerre de l’eau  » (avril 2000) et « guerre du gaz  » (septembre- octobre 2003 et mai- juin 2005), ont montré comment on peut modifier un rapport de forces. C’est durant ces journées qu’ont été nationalisés les hydrocarbures, parce que le décret signé le 1er mai par Evo Morales n’a fait que sanctionner légalement une chose qui avait été gagnée dans la rue.
Les cinq impressionnantes années qui ont mis le mouvement populaire bolivien au centre de la scène politique ont vu le jour à une époque de triomphe du modèle néolibéral, et quand les mouvements sociaux étaient fortement sur la défensive et dispersés. Vers le milieu de 2005, ceux-ci étaient parvenus à désarticuler toutes les stratégies des élites et n’allaient pas s’arrêter là . À partir de ce moment, la tentation du pouvoir d’Etat - qui avait déjà fait des ravages pendant le gouvernement de Carlos Mesa, en divisant les mouvements - a imposé un nouvel agenda. Pour justifier ce virage, la thèse du « ballottage catastrophique  » venait à point nommé. Le moment insurrectionnel a fait place au moment institutionnel. Et avec ceci, à la démobilisation ont été ajouté des accords avec la droite qui se résument dans la Loi de convocation à la Constituante qui, dans les faits, accorde le droit de veto à la droite. Ironie du sort : le droit de veto qu’avaient utilisé les aymaras et les quechuas pour bloquer les projets du pouvoir, passe maintenant aux mains de leurs ennemis.
Le vice-président Alvaro GarcÃa Linera semble par trop optimiste en indiquant que « l’Assemblée constituante va résoudre les fractures, les tensions et les divisions héritées  », et que la nouvelle constitution résoudra l’héritage de cinq cents ans de divisions coloniales. Apparemment, seul un nouveau cycle de luttes comme celui récemment conclu, pourra défaire ce ballottage construit comme un chemin de traverse pour atteindre le pouvoir d’Etat.
[1] [NDLR] C’est dans les départements de Santa Cruz et de Tarija, que se trouve la plus grosse partie des richesses en ressources naturelles de la Bolivie. Un mouvement « civique  », mené par les classes dominantes, chefs d’entreprises, transnationales et grands propriétaires terriens, exige plus d’autonomie territoriale - et certains l’indépendance - pour contrôler ces richesses. La vigueur depuis l’an 2000 des mouvements sociaux remet en cause leur mainmise sur les ressources naturelles.
Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx), 10 juillet 2007.
Traduction : Diane Quittelier, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).
Mouvement vers le socialisme (MAS)
Le Mouvement vers le Socialisme - Instrument politique pour la souveraineté des peuples (MAS-IPSP) est un parti politique de gauche bolivien né en 1996 et dont le leader historique est l’actuel président de la Bolivie : Evo Morales. (...)