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Il est quasiment certain que Luiz Inacio Lula sera le prochain président du Brésil. On peut dire avec presque autant de certitude que son second gouvernement sera égal, ou même pire, au premier. Le Parti des travailleurs (PT) est sorti très affaibli des scandales successifs de corruption, et il est difficile qu’il arrive à reproduire l’exercice des élections passées, car la base parlementaire qui soutiendra le nouveau gouvernement sera très faible et Lula dépendra encore plus de ses alliés de centre droit.
Le principal succès du gouvernement Lula, se situe dans sa politique extérieure [1], orientée à renforcer les relations Sud-Sud, à travers des alliances comme le G-20 et l’IBAS (Inde- Brésil-Afrique du Sud), en plus du resserrement des relations commerciales et d’affaires avec la Chine [2] et la mise sur pied de la Communauté sud-américaine des nations, même si cette dernière est encore fragile. Le ministère des Affaires étrangères, dirigé par Celso Amorim, a tissé de larges alliances partout dans le monde et cherche à se positionner pour obtenir le convoité siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Malgré tout, la politique extérieure présente de gros nuages : la mission militaire en Haïti est le plus notable. A celle-ci s’ajoute les conflits qu’entretient Petrobras en Bolivie et en Equateur [3], où l’entreprise a bénéficié de l’appui du gouvernement.
En général, les points sombres du premier gouvernement de Lula sont plus forts que les points positifs. La corruption qui affecte le PT et le gouvernement lui-même est peut-être l’élément le plus négatif. Jusqu’à qu’il arrive au gouvernement, le PT s’érigeait comme le « parti de l’éthique  », mais il a suffi de peu d’années à la tête du pays pour ternir son image, au point que quand Lula laissera la présidence en 2010, il est improbable que surgissent des pièces de rechange pour la gauche. Le gouvernement pétiste a obtenu ce que n’a pu faire la droite : faire reculer la gauche sur plusieurs dossiers et hypothéquer son avenir.
Alors que certains secteurs nourrissent l’espoir que le second mandat représente un tournant dans la politique économique néolibérale pour laquelle a opté Lula, on n’observe pas de signes de rupture avec le capital financier. Durant ces quatre ans, le secteur bancaire a obtenu les plus grands profits de son histoire et les riches sont devenus plus riches, alors que la politique de « superavit  » fiscal [4] élevé et les hauts taux d’intérêts ont étranglé les secteurs productifs. La réforme agraire est paralysée, mais l’agrobusiness a le vent en poupe. Par conséquent, le rapport de forces a enregistré une consolidation des élites brésiliennes et du secteur financier tout particulièrement.
Les plans sociaux expliquent le large soutien du gouvernement. Environ 40 millions de Brésiliens bénéficient de divers programmes sociaux, auxquels 13 milliards de dollars ont été alloués. Le plan « Faim Zéro  » a regroupé des programmes qui venaient du gouvernement antérieur, mais plus de moyens y ont été injectés et plus de familles en ont bénéficié. Onze millions de familles reçoivent 61 réals par mois (28 dollars), tandis qu’en 2002 elles recevaient à peine 24 réals. Le salaire minimum a crà » de 32% en décomptant l’inflation. Selon la Fondation Getulio Vargas, avec Lula, la misère a baissé de 26,7% à 22,7% de la population. Même ainsi, 42 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté avec des revenus de deux dollars par jour. Et l’inégalité est atroce : en 2005, les 50% les plus pauvres percevaient 14% des revenus, alors que les 10% les plus riches détenaient 45% de la richesse. Dans le Nordeste, fief traditionnel de la droite, l’appui à Lula s’élève à 70%. Les plans ont atténué la pauvreté, mais ils n’arrivent pas à modifier le cadre social ni ne favorisent une redistribution de la richesse, bien qu’ils continuent à alimenter des pratiques clientélistes dont bénéficie maintenant Lula.
Les programmes focalisés, inspirés des modèles de la Banque mondiale n’arrivent pas ni ne se proposent de venir à bout de l’exclusion sociale. Un Brésilien sur trois est sans emploi ou survit dans l’économie informelle, où atterrissent la majorité absolue des jeunes et une grande partie des femmes. Le cercle infernal qui alimente la marginalisation n’a pas été interrompu et continue à générer de gigantesques périphéries urbaines misérables, soignées par les programmes sociaux mais surveillées de près par les forces de sécurité. Le plus grand dynamisme économique et de consommation reste concentré dans les classes moyennes et moyennes hautes, protégées par d’impressionnants réseaux de sécurité.
Sans rompre ce cercle, il n’y aura pas de changements au Brésil. Au cours des quatre dernières années, il y a eu un moment où le cours des choses aurait pu être changé. Ce fut durant la crise politique à la mi 2005, à partir du scandale de corruption connu comme « mensualité  » [5] : l’achat des votes de dizaines de parlementaires grâce au modèle de corruption dirigé par José Dirceu, main droite de Lula. Mais le président a opté pour poursuivre dans la même voie. A ce moment-là , des dirigeants du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) ont considéré que le gouvernement de Lula avait cessé d’être un gouvernement du changement.
En Amérique latine, les changements surviennent seulement au milieu et comme la conséquence de profondes crises politiques, dans des périodes de déstabilisation aiguë . Au centre du tourbillon social sont créées les conditions pour l’émergence de mouvements qui en définitive sont les faiseurs des changements en créant de nouveaux rapports de forces. C’est ainsi que cela s’est passé en Argentine, au Venezuela, en Bolivie ... Mais la direction du PT et Lula ont reculé face à la moindre lueur d’instabilité. Ils ont opté pour ce qui est sà »r. Et ce qui est sà »r est toujours le status quo. Dans cette situation, les élites reprennent leur souffle, proposent à nouveau des stratégies et se disposent à passer à l’offensive. Lors de son second gouvernement, Lula sera prisonnier de ces élites, qu’il n’a pas voulu combattre, à qui il a concédé des privilèges et qui attendent maintenant la moindre négligence pour le faire chuter.
[1] [NDLR] Consultez le dossier De la politique extérieure du gouvernement Lula, sur le RISAL.
[2] [NDLR] Consultez le dossier Chine & Amérique latine, sur le RISAL.
[3] [NDLR] Sur les agissements de Petrobras en Amérique du Sud, lisez Igor Ojeda, L’hégémonie et le jeu sale de Petrobrás en Amérique latine, RISAL, 5 mai 2006 ; Raúl Zibechi, Sous-impérialisme.br, RISAL, 28 juin 2006 ; Raúl Zibechi, Le Brésil et le difficile chemin vers le multilatéralisme, RISAL, 5 mai 2006.
[4] [NDLR] Le gouvernement mène une politique d’austérité visant à dégager un excédent budgétaire afin de rembourser ses créanciers. Le superavit est ce qui reste de la récolte fiscale, pour le paiement de la dette publique.
[5] [NDLR] Consultez le dossier Corruption et crise politique au Brésil, sur le RISAL.
Source : La Jornada (www.jornada.unam.mx), jeudi 28 septembre 2006.
Traduction : Frédéric Lévêque, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).
C.S.N. / Communauté sud-américaine des nations
Sorte de fusion élargie du Mercosur et du pacte andin, la Communauté Sud-Américaine des Nations (CSN), lancée à Cuzco en décembre 2004, comprend l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Venezuela, la Colombie, le Pérou, l’Equateur, le Surinam, l’Uruguay, la Guyana, le Chili et le Paraguay.
Elle a été remplacée par l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR), en avril 2007 au cours du Sommet énergétique sud-américain.
G-20
En juin 2003, à l’initiative du Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud s’unissent pour défendre conjointement leurs intérêts et, à cette fin, les trois concluent une nouvelle alliance stratégique qui formera le G-3. Ces puissances revendiquent une plus grande place pour les pays du Sud dans les organisations multilatérales et, surtout, dans leurs organes de décision. Or, au lendemain d’une de leurs premières sorties publiques, quelques jours avant la Conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Cancún, le G-3 conduit à la formation d’une seconde coalition de pays du Sud, également mécontents de la tournure des négociations du cycle de Doha, le G-20. La suite est connue. Les négociations commerciales échouent en raison d’un désaccord majeur concernant les subventions agricoles, et plus précisément, à propos du soutien apporté par les pays du Nord, comme les États-Unis, à l’exportation du coton. Contrairement au précédent échec essuyé à Seattle en 1999, celui de Cancún marque l’entrée d’un noyau de puissances du Sud sur la scène internationale et met en évidence le rôle de chef de file du Brésil.
D’abord nommé G-21, parce qu’il comptait 21 membres, le groupe devient le G-22 puis le G-20+. Depuis Cancún, l’Égypte, le Nigéria, la Tanzanie, le Zimbabwe se sont ajoutés, alors que l’Équateur, le Costa-Rica, le Guatemala, le Pérou et le El Salvador se sont retirés. En 2005, le groupe se présente officiellement comme le G-20 et compte 19 pays membres.