| Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine |
http://www.risal.info/spip.php?article2143

Venezuela
La cogestion àInveval : survivre dans un océan de capitalisme
par Kiraz Janicke
4 octobre 2007

Au Venezuela, la révolution bolivarienne et, en particulier, ses expériences de cogestion d’entreprises et, dans certains cas, de contrôle ouvrier sont àl’avant-garde du mouvement mondial contre le capitalisme. Suite au lock-out patronal en décembre 2002 et janvier 2003 qui paralysa une grande partie de l’économie du pays pendant deux mois, des centaines d’usines ont été fermées et des travailleurs sont descendus dans la rue et ont pris les choses en main.

Les travailleurs ont relevé le défi (...). On estime à1 200 le nombre d’usines ayant été prises et occupées après leur fermeture. En 2005, le gouvernement de Chavez a adopté une série de décrets permettant l’expropriation d’entreprises et la cogestion dans « l’intérêt public  ».

Le 24 juillet dernier, j’ai eu l’occasion de visiter une de ces usines. Il s’agit d’Inveval, une usine de production de valves qui est sous contrôle ouvrier depuis avril 2005. J’ai fait cette visite avec une délégation du Centre international Miranda [1] afin de parler aux travailleurs et en savoir plus sur leur lutte, leur histoire, leur expérience du contrôle ouvrier, les défis qu’ils ont àaffronter ainsi que la question plus large du comment ils s’y prennent pour transformer la société vénézuélienne dans la lutte pour le « socialisme du XXIe siècle  ».

En nous faisant faire le tour de l’usine, le trésorier d’Inveval, Francisco Pinero, nous a expliqué que bien que l’entreprise soit constituée légalement en coopérative détenue à51% par l’État et à49% par les travailleurs, « le pouvoir réel est exercé par l’assemblée des travailleurs  ». A la place des contremaîtres, les travailleurs d’Inveval élisent par une assemblée des travailleurs des « coordinateurs de production  » pour une période d’un an et révocables.

« Tout le monde ici est payé exactement pareil, qu’ils travaillent dans l’administration, dans la formation politique, dans la sécurité ou même au nettoyage  », ajoute un autre travailleur, Marino Mora.

« Nous voulons que l’État possède 100% de l’usine, mais qu’elle soit sous gestion ouvrière pour que les travailleurs contrôlent toute la production et l’administration. C’est ainsi que nous voyons le nouveau modèle de production. Nous ne voulons pas créer ici de nouveaux capitalistes  », affirme Pinero.

Une telle approche contraste radicalement avec l’expérience d’Invepal (ex-Venepal), une entreprise de papier vénézuélienne où une coopérative de travailleurs est devenue propriétaire privée de 49% de la compagnie et a commencé àengager des travailleurs intérimaires, devenant ainsi eux-mêmes des patrons, reproduisant des relations capitalistes dans l’usine.

« Au début, nous n’avions pas le contrôle ouvrier en tête, nous nous battions juste pour sauver nos emplois  », précise Pinero.

Cependant, dit-il, la formation de l’assemblée des travailleurs dans l’usine s’est développée organiquement. « Nous étions membres du syndicat Sintrametal – anciennement membre de la vieille centrale corrompue, la CTV -. Quand nous avons voulu nous emparer de l’usine, nous avons demandé au syndicat une aide légale, mais ils ne nous ont pas aidés. Nous avons commencé àformer des assemblées et àtravers ce processus, nous avons commencé ànégocier avec la ministre du Travail [àl’époque, Maria Christina Iglesias] qui nous a beaucoup aidé  ».

« Nous avons organisé un piquet aux portes d’entrée pendant deux ans avant de décider de les franchir. À travers ce processus nous avons développé une maturité politique très rapidement, non seulement dans notre lutte personnelle, mais plus largement avec les luttes politiques de l’assemblée constituante et du référendum révocatoire.  »

Quand on les interroge sur leur relation avec la centrale syndicale UNT [2] et comment ils ont perçu le projet d’unir la classe ouvrière autour de la révolution, Rolando Aquila déclare : « Nous voulons voir une UNT avec un mode d’organisation différent, plutôt que des leaders du sommet, nous voulons un débat participatif et des porte-parole élus par la base. Nous ne voulons pas qu’on nous impose des choses  ».
« Les seuls leaders syndicaux qui sont venus nous rendre visite sont Orlando Chirinos et Marcela Maspero, mais souvent, ils divisent le mouvement ouvrier  », ajoute Mora.

« Les travailleurs doivent s’emparer des espaces de production. De cette manière nous pouvons mettre la pression sur ceux qui ne veulent que des réformes, parce que justement, nous ne voulons pas que des réformes  », affirme Pinero.

En 2006, les travailleurs d’Inveval ont pris l’initiative de créer la FRETECO, le Front révolutionnaire des usines cogérées et occupées, et ont tenu un congrès national en octobre avec des représentants de 10 usines, pour discuter et débattre de leurs expériences, des défis ainsi que des stratégies pour que le mouvement des travailleurs puissent étendre le nombre d’usines occupées et le contrôle ouvrier. Plus récemment, le 30 juin, le FRETECO a organisé une rencontre avec des représentants de 20 usines pour discuter d’une proposition unifiée de statuts pour mettre en œuvre le contrôle ouvrier.

Toutefois, les usines vénézuéliennes récupérées, même avec l’appui du gouvernement Chavez, sont au prise avec les mêmes problèmes que les usines occupées en Argentine [3] : comment survivre dans un océan de relations économiques capitalistes ? Comment garantir l’approvisionnement en matières premières ? Comment trouver des acheteurs pour le produit fini ? Inveval est confrontée àces deux derniers problèmes.

Inveval a des difficultés particulières àobtenir des matières premières pour produire des valves. Les travailleurs nous ont raconté que le propriétaire d’origine d’Inveval – l’entrepise s’appelait àl’époque Constructora Nacional de Valvulas, CNV -, Andrès Sosa Pietri, un ancien président de la compagnie national de pétrole PDVSA, a participé au lock-out des patrons et a fermé l’usine en décembre 2002. Il a aussi fermé une « compagnie sœur  », une fonderie qui approvisionnait Inveval en matériel nécessaire àla production de valves. Les travailleurs d’Inveval ont essayé d’encourager ceux de la fonderie àoccuper, mais ils ont finalement décidé d’accepter une prime de licenciement du patron. La fonderie est restée fermée depuis lors. Inveval essaie actuellement de négocier une accord avec le gouvernement, soit pour acheter la fonderie, soit pour l’exproprier.

Même si les travailleurs d’Inveval pourraient obtenir des matières premières d’autres pays comme le Mexique, l’Argentine ou la Chine, les règles en matière de développement endogène exigent qu’ils donnent la priorité aux sources de matières premières intérieures, mais ils n’ont pas encore pu les trouver au Venezuela.

Donc, la principale activité àInveval consiste àréparer et àentretenir les valves existantes pour PDVSA. Avec une entreprise fonctionnant à10% de ses capacités et survivant grâce aux prêts gouvernementaux, la situation est objectivement insoutenable. Avec une usine totalement non rentable, les travailleurs nous ont confié qu’une échéance de deux mois avait été établie pour trouver des matières premières, elle pourrait être prolongée au travers d’un processus de négociation avec le gouvernement.

En plus, les travailleurs d’Inveval nous ont affirmé avoir des difficultés avec la société d’État PDVSA avec laquelle ils ont des contrats de fourniture de valves. Quand les travailleurs se sont emparés de l’usine en 2005, et après l’avoir remise en marche, ils ont commencé àproduire avec les matières premières restantes afin de remplir les obligations contractuelles déjàexistantes avec PDVSA. Toutefois, cette dernière n’a pas rempli sa part du marché. Les valves terminées sont sur le plancher de l’usine depuis huit mois.

Les travailleurs d’Inveval nous ont dit que durant une rencontre entre Chavez, Inveval et Veneval - l’organisme responsable de l’approvisionnement en valves de la société PDVSA - en avril, le président de Veneval a affirmé qu’Inveval n’avait produit aucune valve. Ce àquoi le président d’Inveval a répliqué que c’était un mensonge et qu’il y avait des valves disponibles pour la société PDVSA. Le président Chavez ordonna alors au président de Veneval de visiter Inveval en avril pour voir s’il y avait des valves. La société PDVSA aurait finalement accepté de les prendre. Ils attendent pourtant encore qu’on vienne les chercher et PDVSA a également commencé àcommander des valves de dimensions différentes àInveval, en sachant que l’entreprise est incapable de les produire ; ils affirment maintenant qu’elle est incapable de remplir les commandes.

Les travailleurs affirment que des secteurs corrompus àPDVSA préféreraient travailler avec les compagnies privées, avec qui ils peuvent faire des arrangements et de l’argent. Mora déclare : « Le processus de commande de la société PDVSA permet la corruption. Elle devrait se débarrasser de ce processus de commande et juste prendre chez nous les valves parce que nous sommes une compagnie d’État et qu’ils sont une compagnie d’État  ».

« Il y a définitivement des secteurs de la société PDVSA qui sont opposés au contrôle ouvrier et aux exemples comme Inveval  », ajoute Mora.

En dépit de ces difficultés, les travailleurs d’Inveval restent occupés réalisent des projets communautaires, en travaillant notamment avec l’asile psychiatrique local. L’usine, qui était en excellent état lorsque nous l’avons visitée, offre un local pour les « missions  » Ribas et Sucre [programmes éducatifs gouvernementaux, ndlr]. Les conseils communaux l’utilisent aussi comme un lieu de réunion.

Tous les travailleurs participent aussi àdeux heures de cours techniques et socio-politiques chaque jour et ils suivent les classes après 16h des « missions  » Ribas et Sucre. Tout comme les membres de la communauté locale.

Inveval est aussi régulièrement le cadre de forums politiques, et l’objet de visites de groupes d’étudiants, de délégations internationales et de travailleurs d’autres usines occupées.

Les travailleurs considèrent aussi les discussions politiques au sujet du socialisme au niveau national comme extrêmement importantes et pense nécessaire de s’y participer. Nous pouvons faire cela au travers du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV), souligne Mora.

« Ce processus [la Révolution bolivarienne] nous a aidé. Maintenant il y a Barrio Adentro [programme gouvernemental de santé gratuite dans els quartiers populaires, ndlr] et un centre de médecine gratuite et nous ne payons rien, l’emploi augmente et tout le monde étudie. Si tu n’étudies pas, c’est parce que tu ne veux pas, non par manque d’opportunité  ».

« Le président Chavez nous a aidé à100%. Avant, nous étions juste exploités, maintenant nous sommes pris en compte  », conclut-il.

Notes:

[1http://centrointernacionalmiranda.g...

[2[NDLR] Centrale syndicale créée en 2003. Si elle appuie ladite révolution bolivarienne, elle est cependant en partie paralysée par ses divisions internes.

[3[NDLR] Voir le dossier « Entreprises autogérées  » en Argentine, sur le RISAL.


En cas de reproduction de cet article, veuillez indiquer les informations ci-dessous:

Source : Venezuelanalysis.com (http://www.venezuelanalysis.com), 27 juillet 2007.

Traduction : traduction trouvée sur http://quebec.indymedia.org, revue et corrigée par l’équipe du RISAL.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).


GLOSSAIRE

Misiones

Les « missions  » sont les programmes sociaux d’alphabétisation, de santé et d’éducation notamment, lancés par le gouvernement vénézuélien àpartir de 2003.