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Malgré les pressions internationales, le président bolivien Evo Morales s’est fixé jusqu’à mardi [1er mai] pour récupérer la téléphonie et les raffineries, deux secteurs privatisés durant les années 1990.
Rien ne semble arrêter Evo Morales sur le chemin de la resocialisation de l’économie bolivienne. Un an jour pour jour après avoir décrété la récupération des hydrocarbures, le président bolivien entend annoncer, mardi 1er mai, la prise de contrôle effective des deux principales raffineries du pays, propriété du groupe brésilien Petrobras. La nationalisation d’ENTEL, l’ex-société publique de téléphonie dont l’italienne ETI [1] possède 50% des actions, et de deux sociétés pétrolières vendues naguère à Repsol et Pan American (BP) sont aussi à l’ordre du jour. Reste à vaincre les résistances des détenteurs de capitaux et surtout de leurs alliés gouvernementaux. Avec l’annonce de cette date butoir, le chef de l’Etat s’est montré fidèle à sa méthode, affichant sa détermination à récupérer par tous les moyens ces entreprises jugées stratégiques. Mais si Petrobras et ETI se disent prêtes à lâcher une part, voire la totalité de leurs paquets d’actions, de grosses divergences demeurent quant au prix et aux conditions d’achat. Et pour ce qui est des ex-pétrolières publiques Andina et Chaco, rien n’indique qu’elles seront cédées de plein gré par leurs propriétaires espagnol et anglo-américain.
Négociations en berne
Illustration de l’aspérité des négociations, après trois semaines de pourparlers secrets, les dirigeants d’ETI ont brutalement quitté la table des négociations mardi 24 avril, dénonçant « les pressions des médias boliviens et du gouvernement  » et réclamant de poursuivre les discussions « à l’étranger  ».
Dilatoire, la volte-face est aussi liée à la publication, la veille, d’un décret présidentiel contraignant deux fonds de pensions privés [2] à remettre à l’Etat les 47% d’actions d’ENTEL qu’ils géraient depuis la privatisation de la société en 1995. Une opération blanche pour les comptes de l’Etat, ce dernier affirmant que le paquet d’actions « appartient au peuple bolivien  », mais ne le laissant plus qu’à 3% du contrôle d’ENTEL...
Plus gênant encore pour ETI, un second décret présidentiel est venu annuler la « certification  » reçue en 2005 par la multinationale italienne, selon laquelle elle avait bel et bien investi 612 millions de dollars dans ENTEL, condition posée lors de sa privatisation. Selon l’actuel gouvernement, ce blanc-seing octroyé par l’administration précédente serait illégal, seule la Superintendance des télécoms, un organe régulateur indépendant, étant habilitée à offrir une telle certification. Or, un récent rapport de cette instance estime qu’un quart de la capitalisation promise n’a jamais quitté l’Italie.
Bruxelles à la rescousse ?
Affaiblie en pleine négociation, la multinationale italienne s’est tournée vers Rome, qui, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, l’ex-communiste Massimo D’Alema, a aussitôt « saisi  » la Commission européenne, afin de « garantir le respect des droits de propriété d’une grande entreprise  ».
Poids plume pour son vrai propriétaire - le groupe Pirelli (6 milliards de dollars de chiffre d’affaires) - ENTEL n’en est pas moins une bonne affaire à préserver à l’heure où la holding italienne cherche à vendre sa participation dans ETI. Largement majoritaire sur les marchés internes de la téléphonie et d’Internet, ENTEL a réalisé l’an dernier 51 millions de dollars de bénéfice net sur un chiffre d’affaires de 246 millions !
Au début des négociations, ETI avait fixé le prix de sa participation dans ENTEL à 180 millions de dollars. Une offre jugée « beaucoup trop élevée  » par La Paz qui n’en offrirait, murmure-t-on, pas la moitié.
Mercredi, dans un souci d’apaisement, La Paz a assoupli le délai imparti aux négociations. La recherche d’un compromis pourrait donc se poursuivre au-delà du 1er mai.
Quasi-monopole privé
Le désaccord n’est pas moins abyssal quant au sort des deux raffineries convoitées par l’Etat bolivien. Basées à Cochabamba et Santa Cruz, ces deux usines traitent les 4/5 du brut bolivien. Pour Evo Morales, leur prise de contrôle est indispensable s’il entend réaliser - dans les faits - la nationalisation des hydrocarbures annoncée l’an dernier. De même qu’il se doit de mettre la main sur les pipelines de la société Transredes, dont Shell conserve les commandes.
Sans le contrôle direct de ces infrastructures, l’entreprise publique bolivienne YPFB peine à concrétiser la propriété « légale  » des réserves boliviennes et le monopole de leur commercialisation qui lui ont été confiés par les réformes d’Evo Morales. Un an après le décret de « nationalisation  » des hydrocarbures, la Bolivie demeure à la merci des opérateurs privés en matière de fixation des prix et de régulation des flux. Une dépendance inadmissible pour le gouvernement bolivien s’il entend réellement « industrialiser  » son or noir et assurer l’approvisionnement d’un marché interne victime de la concurrence internationale et de la contrebande.
Marché ou patrimoine ?
Bien décidé à ne pas lâcher un tel levier de pouvoir, Petrobras avait dans un premier temps proposé de fonder une entreprise commune avec YPFB, qui lui aurait permis de garder la haute main sur les deux usines boliviennes.
Devant le refus de La Paz, le gouvernement brésilien - actionnaire à 40% de Petrobras - a fini par dévoiler son offre de vente la semaine dernière : 215 millions de dollars, plus du double des 102 millions versés par les Brésiliens lors de la privatisation. Brasilia justifie ce prix par l’effort de Petrobras pour « moderniser  » les deux usines. Mais des sources proches de la négociation qualifient cette annonce de « politique  », estimant la vraie mise à prix brésilienne entre 160 et 180 millions de dollars, soit la valeur marchande des raffineries. Du côté bolivien, arguant des profits gigantesques réalisés par Petrobras, on s’en tient à une valeur dite « patrimoniale  » annoncée autour de 80 millions.
Menaces croisées
Accélérant la manoeuvre, M. Morales annonce désormais son intention de nationaliser les deux usines le 1er mai, reléguant la négociation financière à une seconde étape... Une perspective qui conduirait le Brésil à saisir les tribunaux internationaux et à bloquer tous ses investissements en Bolivie, rétorque Brasilia. De la part du premier partenaire commercial de la nation andine, l’argument a son poids...
[1] Telecom International (ETI) est une filiale de Telecom Italia, qui elle-même est contrôlée par la holding Olimpia, dont l’actionnaire majoritaire est le groupe Pirelli.
[2] Gérés par la Zurich (CH) et BBVA (Esp)
Source : Le Courrier (http://www.lecourrier.ch), Genève, 28 Avril 2007.
Capitalisation
Pour parler de la privatisation des services publics en Bolivie, on utilise le terme de « capitalisation  ». De quoi s’agit-il ? Selon le Fonds Monétaire International (FMI), « la capitalisation était un modèle de privatisation conçu pour garantir un niveau minimal d’investissement étranger plutôt que pour maximiser des revenus de privatisation  ». Ce processus consistait à transformer l’entreprise publique en sociétés par actions, dont au moins la moitié étaient acquises par le capital international et le reste étant attribués aux « citoyens boliviens  », notamment à travers des fonds de pension. Une fois capitalisées, les anciennes entreprises publiques établissaient des joint ventures avec des transnationales qui devaient s’engager à y investir l’équivalent de la valeur des actions. Donc, la capitalisation a consisté non pas à vendre mais à donner le contrôle d’entreprises publiques au capital international en échange de rien, à l’exception d’argent frais.
Yacimientos PetrolÃferos Fiscales Bolivianos / YPFB
Yacimientos PetrolÃferos Fiscales Bolivianos, entreprise publique bolivienne des hydrocarbures.