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Forum social mondial 2003
Des médias de guerre

Une commission d’experts a procédé, lundi 27 janvier, àun audit de la situation des médias au Venezuela.

par Isabelle Bourboulon
28 janvier 2003

c’est une accusation présentée par le Comité vénézuélien des usagers des moyens de communication sociale devant l’Observatoire international des médias (Global Media Watch) qui a décidé de la réalisation de cet audit, dans le cadre du Forum social mondial. La séance est présidée par Adolfo Perez Esquivel, prix Nobel de la paix, et Walden Bello, de l’ONG Focus on the Global South.

Sur le banc des accusés, les chaînes de télévision « VeneVision », « GloboVision » et « RCTV », et les quotidiens « El Meridiano » et « El Nacional ». Pendant près de cinq heures, des témoins vont se présenter pour rendre compte d’une réalité qui dépasse de très loin les plus grossières manipulations qu’il nous arrive parfois de dénoncer, ici ou là, dans nos médias occidentaux.

Au Venezuela, c’est d’une véritable guerre psychologique qu’il s’agit. En toile de fond, et pour faire vite, disons qu’il est question pour les Etats-Unis d’avoir avec ce pays un supplétif de confiance pour la fourniture de pétrole, surtout au moment de s’engager dans une guerre contre l’Irak. Dans ce contexte, le gouvernement populaire de Chavez, qui affiche ouvertement sa volonté d’indépendance politique et économique, représente évidemment un obstacle.

La concentration de la presse commerciale est ici extrême : trois groupes industriels et financiers se partagent àpeu près tous les grands médias, chaînes TV, radios et quotidiens, et les principales imprimeries. Ce sont les mêmes qui contrôlent l’exploitation du pétrole vénézuélien et ont déclenché, ou plutôt imposé, la « grève  » de l’entreprise PDVSA.

Earle Herrera, journaliste et professeur en sciences sociales, évoque la façon dont les télévisions privées matraquent en permanence un discours de haine envers Chavez, le « tyran » dont on annonce quotidiennement la chute. Tous les moyens sont bons : images détournées et manipulées de façon caricaturale, recours massif aux sciences occultes et aux astrologues pour frapper les imaginations, insultes grossières et menaces àcontre les « Chavistes » qui soutiennent le gouvernement. Jusqu’aux enfants, qui sont la cible d’émissions spéciales mêlant divertissement et propagande. Pour accentuer la peur, des « livrets du survivant » ont été publiés qui mettent en garde la population : « faites des provisions d’eau et de nourriture, préparez-vous àfermer hermétiquement vos fenêtres, etc ». Déjà, certains médecins parlent de l’« infophrénie  », comme d’une nouvelle maladie créée par les médias...

Le 11 avril, date du coup d’état contre Chavez, subitement tous les médias se taisent. On ne sait plus ce qui se passe. La revue « Bohemia », qui a anticipé la chute du gouvernement et l’annonce dès le 13 avril, devra précipitamment être retirée de la vente, car ce même jour... Chavez réapparaît et revient au pouvoir. Dans l’énorme confusion qui règne pendant 48 heures, même « Radio Caracol  » de la Colombie voisine a vu son émetteur coupé. Au milieu du silence général volontairement créé par les médias commerciaux, des informations parviennent progressivement àcirculer grâce aux médias communautaires et alternatifs, aux dépêches de correspondants étrangers reprises sur Internet et au bouche-à-oreille que facilitent les téléphones portables. C’est ce qui permettra àla population de descendre massivement dans la rue pour réclamer le retour du Président.

Paul-Emile Dupret, assistant au Parlement européen, apporte un témoignage surprenant : il n’existe pas de frontière sur les chaînes privées entre information et publicité. C’est ainsi qu’un même journaliste peut, sans transition, passer de la présentation du journal télévisé àune annonce publicitaire pour un médicament... Séjournant régulièrement au Venezuela qu’il connaît bien et identifié comme membre d’un parti de gauche, il est régulièrement l’objet d’insultes dans la presse : mieux que « gauchiste  », l’insulte suprême est, paraît-il, « CNN », la chaîne américaine que les télévisions vénézuéliennes détestent depuis qu’un de ses reporters a osé interviewer Chavez ! C’est dire...

Que se passe-t-il pour les journalistes qui refusent de se soumettre dans ce contexte exacerbé ? Ils sont virés évidemment. C’est ce qui est arrivé àAndres Izarra qui vient témoigner du fait que les trois groupes de presse dominent àtel point le « marché » journalistique qu’il n’y a plus moyen pour lui de trouver du travail.

Suivront encore un paysan, Braulio, qui dénonce les appels au meurtre lancés par les grands médias contre tous ceux qui, paysans sans terre, menacent les intérêts des grands latifundistes ; Blanca Eekhout, journaliste àla chaîne indépendante Catia TV, qui insiste sur le rôle fondamental joué par les médias communautaires et alternatifs qui ont été autorisés àpartir de 1999, lorsque, grâce àla nouvelle constitution, la communication est devenue un droit.

Les auditions terminées, le jury composé de Naomi Klein (Canada), journaliste, Tariq Ali (Grande-Bretagne), éditeur de la « New Left Review », et Steve Rendall (USA), éditeur de « Faimess Accuracy in Information Report  » (FAIR), prend la parole.

Constatant que les médias en accusation sont très loin de remplir ne serait-ce que les standards minimum de l’éthique et de la déontologie journalistiques, ils recommandent : Au gouvernement Chavez :

- De ne pas utiliser les mêmes moyens que ses adversaires et d’éviter l’invective. L’unique chaîne de télévision d’État devra au contraire s’efforcer de devenir un modèle du genre pour gagner en crédibilité et, ce faisant, « délégitimer » ses concurrentes.

- De créer un organe de régulation indépendant doté de véritables pouvoirs, qui permettant de rompre le monopole actuel aux organisations professionnelles internationales (Reporters sans frontières, Fédération internationale des journalistes) :

- D’effectuer des enquêtes impartiales et approfondies sur la situation des médias vénézuéliens, et de rendre leurs résultats publics. En guise de conclusion, un coup de chapeau appuyé est donné par le jury aux médias communautaires et alternatifs pour leur travail et leur créativité.


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Source : ATTAC 2003.

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