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El Salvador : des guérilleros au pouvoir
par Maurice Lemoine
20 mars 2009

Dix-sept ans après avoir déposé les armes sans avoir été vaincu militairement, le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN) a porté son candidat Mauricio Funes àla présidence du Salvador, le 15 mars 2009. L’ex-guérilla s’était convertie en parti politique après les accords de paix qui, le 16 janvier 1992, àChapultepec (Mexique), ont mis fin àdouze années d’une terrible guerre civile (soixante-quinze mille morts). Dans un conflit au cours duquel, d’après la Commission de la vérité créée par les Nations unies, 85 % des assassinats ont été commis par l’armée et les escadrons de la mort, et 5 % par la guérilla, les forces armées salvadoriennes ont été massivement soutenues par les Etats-Unis (4,6 milliards d’euros).

Journaliste sur la chaîne 12 de télévision – et ancien correspondant de CNN en espagnol –, M. Funes, de tendance sociale-démocrate, n’a pas participé àla lutte armée. En revanche, son vice-président Salvador Sánchez Cerén est un ex-commandant de la guérilla.

Cette victoire du FMLN met un terme àvingt années d’hégémonie de l’Alliance républicaine nationaliste (Arena). Fondé par l’ « Ã¢me damnée  » des escadrons de la mort, Roberto d’Aubuisson, et émanation de l’extrême droite, ce parti a peu àpeu laissé en chemin ce passé sulfureux, mais n’en demeure pas moins le représentant d’une droite dure. Pour tenter de barrer le chemin àla gauche, les deux autres formations conservatrices, le Parti de conciliation nationale (PCN), représentant des gouvernements militaires (1961-1976), et le Parti démocrate-chrétien (au pouvoir de 1984 à1989), ont renoncé àprésenter un candidat et se sont ralliés d’emblée àl’Arena.

Dans la grande tradition, cette sainte alliance a mené une « campagne de la peur  » qui a bénéficié de l’appui de la plupart des médias. A un archaïque langage de guerre froide s’est ajouté le thème récurrent lors de chaque élection, en Amérique latine, ces dernières années : le danger représenté par les liens (réels et/ou supposés) entre le FMLN et le « dictateur (sic !) vénézuélien Hugo Chávez  ». Les Salvadoriens ne se sont pas laissés abuser.

Principal parti d’opposition depuis sa première participation au jeu démocratique, lors des législatives de 1993, le FMLN est devenu la première force politique du pays (mais sans détenir la majorité àl’Assemblée nationale) lors du scrutin législatif du 18 janvier 2009.

Il n’est guère surprenant de voir le Salvador rejoindre le groupe des pays latino-américains gouvernés àgauche et au centre gauche. La désastreuse situation sociale de ce petit pays de 5,7 millions d’habitants a obligé plus de 2,5 millions d’entre eux àémigrer, essentiellement aux Etats-Unis ; 47,5 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et 19 % dans l’extrême pauvreté – quand 0,3 % accaparent 44 % du revenu national. Un chômage massif et le taux d’homicides le plus élevé du continent (67,8 pour cent mille habitants) complètent le tableau.

Lors de la campagne électorale de 2004, le gouvernement de M. George W. Bush était intervenu sans pudeur pour faire barrage au FMLN et appuyer l’Arena. Prédisant les pires catastrophes « si le communisme s’emparait du Salvador  », Washington était allé jusqu’àmenacer d’empêcher l’envoi d’argent au Salvador – les remesas – des immigrés salvadoriens vivant aux Etats-Unis. L’annonce n’avait rien d’anodin : seconde source de revenus du pays, ces remesas pèsent pour 17 % du produit intérieur brut (3,8 milliards de dollars en 2008). L’élection de M. Antonio Saca permit la persistance de la relation privilégiée San Salvador–Washington, constante de la politique des deux pays. M. Saca sera d’ailleurs le dernier dirigeant latino-américain àmaintenir des troupes en Irak (depuis, le président colombien Alvaro Uribe a pris la relève en annonçant l’envoi de troupes colombiennes en Afghanistan).

Comme àl’accoutumée, aux Etats-Unis, les représentants républicains Dana Rohrabacher et Conni Mark ont sonné le tocsin àla veille de l’élection : « Si le FMLN gagne ce dimanche, le Salvador se transformera rapidement en un satellite du Venezuela, de la Russie et peut-être de l’Iran  [1].  »

Changement d’époque ? Il est trop tôt pour le dire. Toutefois, l’arrivée àla Maison Blanche de M. Barack Obama semble changer la donne. Après que le porte-parole du département d’Etat Heidi Bronke a affirmé que le gouvernement des Etats-Unis n’appuierait aucun candidat, Washington a réaffirmé sa détermination àcoopérer avec quelque président que ce soit. En l’occurrence M. Funes, qui sera investi le 1er juin.

Reste àsavoir si sa politique sociale s’inspirera du camp des « modérés  » (Brésil, Chili, Uruguay) ou des « radicaux  » (Bolivie, Equateur, Venezula).

Notes:

[1BBC Mundo, 14 mars 2009.


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Source : La valise diplomatique (www.monde-diplomatique.fr/carnet/), mars 2009.

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