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Interview de Blanca Eekhout & Alvaro Caceres, Catia TVe
Venezuela : « La communication, un élément essentiel pour la transformation de la société »
par Frédéric Lévêque , Ataulfo Riera
18 novembre 2003

Blanca Eekout et Alvaro Caceres sont des animateurs très actifs de Catia Tve, une télévision communautaire de Catia, un immense quartier populaire de Caracas, Venezuela.

De passage en Belgique au mois de mai 2003, nous les avons interviewés sur le mouvement des médias communautaires vénézuélien dans le cadre de l’actuel processus de changements sociaux, économiques et politiques - la Révolution bolivarienne - que vit le pays caribéen sous la présidence du très controversé président Hugo Chávez Frías.

A l’époque, Blanca était la directrice de cette télévision communautaire. Elle vient d’être nommée àla tête de la nouvelle et très originale chaîne publique Vive Televisión. Quant àAlvaro, il est cinéaste et collabore notamment avec Catia Tve pour les aspects techniques, et àl’intégration et la formation des équipes de production.

Au mois de juillet dernier, le maire de Caracas, Alfredo Peña, un farouche opposant du président vénézuélien Hugo Chávez et qui participa activement àla tentative de coup d’État d’avril 2002, faisait apposer les scellés sur les locaux de Catia Tve. Depuis lors, la solidarité nationale et internationale a fait reculer cet ancien journaliste. Mais, malgré cette victoire, Catia TVe n’émet plus depuis lors. Ce qui devrait changer dans les mois àvenir.
Elle produit cependant encore des reportages qui sont diffusés chaque semaine par la chaîne publique VTV dans l’espace consacrés aux médias communautaires.

Quelles sont les origines des médias communautaires au Venezuela ? Quelle a été leur évolution ces dernières années, notamment par rapport au développement de la dite « révolution bolivarienne  » ?

Blanca : La recherche d’espaces de communication communautaires remonte àde nombreuses années. C’est une histoire qui a commencé avec les textes muraux, les graffitis, les tracts, les radios, les radios par mégaphone et les ciné-clubs.

Auparavant, il n’y avait pas de possibilité d’émettre par ondes radio-électriques, aussi la communauté cherchait des formes , des stratégies de communication de résistance. Car l’immense majorité de la population vénézuélienne est une population noire, métissée, d’origine humble, elle a toujours été exclue des grands médias, tout comme de l’accès aux services. Elle s’est vue niée ses droits. Il y a donc toujours eu une volonté de tisser des liens de communication entre les communautés populaires afin de changer cet état de choses et transformer la société.

LE « CINE-CLUB DU MANICOMIO  »

Pour ce qui est de Catia TVe, elle trouve son origine dans une expérience de ciné-club. D’abord par des projections, sur les murs du quartier, de films alternatifs en 16 mm. Ces rassemblements populaires pour voir des films sur grand écran dans un quartier qui ne possédait pas de cinémas est devenu quelque chose de très attractif qui permettait d’engager des discussions. Ces projections devenaient des assemblées, des forums de discussions où l’on mettait sur pied des projets de réhabilitation du quartier par exemple. Le ciné-club a été une activité permanente de rencontre entre les gens et leurs associations autour de ce travail avec l’image.

Notre ciné-club se trouvait àCatia, dans le quartier Simon Rodriguez, un quartier pauvre, de gens qui se sont retrouvés làpour vivre dans des baraques en aluminium, normalement pour un temps très court au début mais qui sont làdepuis plus de cinquante ans. Ces communautés ont peu àpeu commencé àconstruire leur propre espace de vie, àtransformer leur environnement.

En 1989, éclate une immense révolte àCaracas et dans tout le pays (le Caracazo, NDLR) ; c’était la première réponse du peuple vénézuélien àun paquet de mesures néo-libérales du gouvernement de l’époque. Ces mesures économiques brisaient les espoirs des gens de voir un réel changement du pays, une rupture avec le modèle populiste de la fausse démocratie qui régnait depuis plus de 40 ans. Après l’annonce de ce paquet de mesures néo-libérales, tous les gens sortirent dans la rue, il y eut des pillages généralisés et la répression a été particulièrement sauvage et sanglante. Plus de 3.000 morts. On ne connaît pas le chiffre exact des victimes parce que tout a été caché, nié par les autorités. Aucune explication du pourquoi d’une telle répression n’a jamais été donnée.

Dans le contexte des ces événements du 27 février 1989, les gens du « Ciné-club du Manicomio  » ont pris possession d’un espace, d’un bâtiment public àl’abandon. Dans cet espace occupé est née la « Maison de la Culture Simon Rodriguez  ». C’est dans cette maison de la culture auto-gérée que se sont poursuivies les projections du ciné-club et l’auto-organisation des gens du quartier.

Le ciné-club a été le premier pas qui a permis d’avancer vers la ré-appropriation de l’image par les gens eux-mêmes. Nous avons commencé avec une petite caméra et nous sommes passés du format 16 mm au vidéo-projecteur. Les conséquences furent fabuleuses car les gens avaient une soif immense de se reconnaître, de s’auto-représenter, de se voir àpartir de leur propre regard et non plus au travers du regard des autres. Il faut savoir que les communautés populaires n’apparaissent dans les médias commerciaux que dans la rubrique "faits divers" des journaux qui parle de violence, de délinquance, de marginalité. Pour la première fois au contraire, l’image pouvait servir àdonner un autre message ; celui de ce que nous sommes vraiment, de ce qu’est réellement la construction permanente de la vie sociale dans les quartiers et de la lutte du peuple.

Notre histoire est donc celle de ce passage de la projection àla réalisation et àl’enregistrement de l’image. Ce fut une transition très particulière parce qu’il n’y avait aucune formation dans l’utilisation de la caméra. Ce fut donc un apprentissage très empirique qui a entraîné une manière très différente de dire et de créer l’image. On peut affirmer que dans toute la phase initiale de ce travail d’images àpartir de la communauté, la manière de faire ressemblait àcelle des vidéos familiales où tout est important, tout est enregistré, où tout le monde se connaît. C’est pour cela qu’il y avait tant de joie pour les gens àprojeter ces images, àse voir et àse reconnaître eux-mêmes.

Ce travail a par la suite évolué et la caméra n’est plus seulement devenue une façon de se voir, de se reconnaître, de se représenter, elle est également devenue un instrument de lutte. Une arme permettant de mobiliser la population. Lorsqu’il fallait dénoncer quelque chose et se plaindre des autorités, la caméra était toujours là. C’était une forme d’engagement direct avec les luttes de la communauté : lorsque la caméra accompagnait les plaignants. Le fonctionnaire qui les recevait savait que ces images enregistrées allaient être diffusées.

Les gens ont par la suite commencé àsélectionner tout ce qu’ils enregistraient : les assemblées de quartier, les fêtes, les activités culturelles. Ce type d’expérience n’avait pas seulement lieu dans notre quartier, mais dans de nombreux endroits du pays. On a donc commencé àavoir des échanges d’images avec d’autres projets, images qui ont servi àréaliser un véritable journal des quartiers populaires. Une première rencontre entre tous ces "communicateurs communautaires" eut lieu en 1998 : journaux, radios, vidéos, bref toutes les personnes engagées dans des activités de communication dans leurs communautés respectives. A cette rencontre, nous avons appris que quelques compagnons, malgré les persécutions et les accusations de "pirates", étaient parvenus, avec très peu de ressources, àmonter un émetteur qui leur permettait de diffuser leurs images. Nous avons donc commencé àtravailler pour que nos images vidéos puissent être diffusées par les ondes radio-électriques et toucher plus de personnes qu’auparavant.

La même année, en décembre 1998, Hugo Chávez remporte les élections présidentielles avec un projet de changement. C’était un projet assez particulier parce qu’il ne se proposait pas de résoudre tous les problèmes, ce n’était pas une proposition démagogique. Le processus d’une nouvelle constitution qu’il impulsait et où tous les secteurs de la population pouvaient participer àson élaboration offrait au contraire un cadre nouveau dans lequel il serait possible de transformer la société vénézuélienne.

Nous qui étions issus des médias de communication alternatifs et communautaires, nous avons impulsé, dans ce cadre constitutionnel, la nécessaire démocratisation de la communication dans le pays. Dans la nouvelle Constitution (adoptée par référendum populaire en 1999, NDLR), le droit àla communication a été reconnu comme un droit de l’Homme. L’État s’engage àassurer l’exercice réel de ce droit par et pour les communautés. Ainsi, la Constitution reconnaît qu’ àcôté de la propriété privée (commerciale) et publique (étatique) des moyens de communication, il existe également un droit àla propriété sociale et collective des médias. Une appropriation qui ne dépend ni des intérêts politiques particuliers d’un gouvernement, ni des intérêts économiques d’une entreprise, d’un groupe de presse.

DISTINCTION ENTRE MEDIA & MESSAGE

Ce fut le résultat d’un travail intense parce qu’il fallait définir les règles permettant d’éviter que ce nouveau droit ne soit instrumentalisé par des groupes religieux, politiques ou économiques afin que ce soit réellement la communauté organisée qui possède un espace de protagonisme dans la communication. C’est dans le cadre de cette réflexion que nous avons établi une distinction entre le média et le message. L’équipe qui est responsable pour assurer que les émissions soient diffusées n’est pas la même que celle qui produit et qui définit la programmation. Ces dernières tâches sont assurées par des équipes de production indépendantes qui sont composées par les habitants de la communauté. Ce sont eux qui se forment pour que la caméra soit un instrument au service de leurs nécessités, des comités de voisins, d’associations de femmes, de travailleurs, de clubs sportifs. Ce sont eux qui assurent que tous ces secteurs disposent d’un espace qui rende compte des contestations, mais aussi des propositions ; un espace qui coordonne ces actions avec celles d’autres collectifs. Voilàpar quel processus sont nés les médias communautaires actuels.

Alvaro : Je voudrais ajouter quelques éléments pour faire comprendre cette dynamique communicationnelle au Venezuela qui est née au moment où il y avait une soi-disant démocratie.

Au Venezuela, il y a toujours eu un monopole dans l’utilisation du spectre radio-électrique. Les gouvernements successifs accordaient aux entreprises privées des concessions pour l’exploitation de ce spectre, pour des radios et des télévisions. Tous ces gouvernements, des deux partis qui se sont succédé au pouvoir pendant 40 ans, ont donné àleurs amis des milieux patronaux le monopole de l’information. Pendant longtemps, il n’existait que deux chaînes de TV privées en plus de celle du gouvernement, ce qui représentait une monopolisation d’une ressource naturelle telle que le spectre radio-électrique.

LA COMMUNICATION, UN DROIT DE L’HOMME

Ce n’est qu’avec le début du processus de changements actuel que l’on a commencé àremettre en question ce monopole en instaurant les instruments adéquats : une série de lois et de règlements qui tentent d’apporter une solution àce problème. A partir de l’article de la nouvelle Constitution qui définit le droit àla communication comme un droit humain, puis avec la « Loi organique sur les télécommunications  » et ses réglementations d’application qui imposent àl’État la responsabilité et le devoir de garantir ce droit, on a fait en sorte qu’une portion du spectre radio-électrique soit réservée, dans chaque partie du pays, aux médias communautaires.

Pouvez-vous nous expliquer un peu plus ce processus constituant mené avec les médias communautaires ?

Blanca : La Constitution a défini le cadre général en définissant le droit àla communication comme un droit de l’Homme ainsi que la possibilité de la propriété sociale des moyens de communication. C’est dans la loi organique que l’on a discuté en profondeur de ces sujets et dans le règlement des médias communautaires que l’on a vu dans le détail comment devaient fonctionner ces derniers : quels rôle devaient-ils jouer ? Comment développer des écoles de formation ? Etc.

UN PROCESSUS CONSTITUANT PARTICIPATIF

Au cours du processus constituant, la discussion ne se faisait évidement pas seulement avec les communicateurs sociaux. Avant d’arriver àl’étape de l’Assemblée constituante, représentée par des gens élus au niveau national en tant que porte-parole des différents groupes, collectifs, des différents secteurs de la population, des villes, des régions, il y a eu toute une série de réunions, d’assemblées, de forums qui se tenaient dans tous les quartiers et organisations du pays sur une base géographique. D’autres types d’assemblées réunissaient les gens par secteurs sociaux : les travailleurs, les paysans, les étudiants, les femmes, les indigènes, etc. Dans ces réunions, chacun exprimait ses revendications, ses acquis, ses besoins.

Ces espaces auraient pu êtres plus larges encore, mais il y avait une nécessité de réformer rapidement le cadre constitutionnel car celui qui était en vigueur jusqu’alors reposait sur un modèle de fausse démocratie. Un modèle qui dépossédait les citoyens d’un bon nombre de leurs droits et qui déléguait leur volonté entre les mains de quelques uns qui étaient élus tous les cinq ans. Il était donc nécessaire de commencer rapidement un processus de transformation des "règles du jeu" pour ensuite réellement changer la structure et le modèle de démocratie existant jusqu’alors dans le pays.

On a donc mené un processus de discussion dans tous le pays et dans tous les secteurs sociaux. Dans le cas des médias communautaires, nous avons obtenu que l’on prenne en compte la question de la communication comme l’un des éléments essentiels de la démocratie. C’était une première phase puisque, comme je l’ai déjàdit, ce processus constituant a été interrompu pour que l’on puisse élire les membres de l’Assemblée Constituante afin de transformer les règles.

Dans cette nouvelle Assemblée constituante, la discussion s’est poursuivie, mais de manière plus structurée puisque tous les groupes présents participaient avec leurs propositions écrites. Le résultat fut un ensemble de nouvelles lois qui furent approuvées, instaurant ainsi de nouvelles règles du jeu démocratique. Mais il s’agissait d’un cadre général auquel il fallait encore donner un contenu. Ce dernier s’est incarné dans une série de lois et de règlements organiques.

C’est dans la Loi Organique sur les Télécommunications (LOT) que l’on retrouve l’obligation pour l’État de respecter le précepte de la communication comme droit de l’Homme établi dans la Constitution, de faciliter aux communautés la possibilité d’exercer librement ce droit. L’État doit donc leur garantir la possibilité d’avoir les instruments, les ressources et les mécanismes juridiques nécessaires pour que ces communautés puissent avoir leurs propres canaux de communication. Ce droit impliquait àson tour qu’àcôté de la propriété privée et étatique pouvait exister la propriété sociale des moyens de communication. Par la suite, les règles internes au médias communautaires ont été établies avec un règlement commun.

Bon nombre de fonctionnaires des organismes publics qui étaient chargés de réguler l’activité communicationnelle dans le pays n’avaient jamais eu de contacts avec les communautés, ni avec le travail de ces dernières. C’étaient des avocats, des journalistes professionnels, des ingénieurs qui occupaient ces fonctions. Les questions sociales n’y avaient aucune place puisque pendant des années ils avaient été habitués àne traiter qu’avec des médias commerciaux. Et n’oublions pas les pressions des groupes économiques et les nombreux cas de corruption qui caractérisaient les octrois de concessions.

Il y a donc eu quelques difficultés pour transformer ces organismes qui réglaient la communication afin qu’ils comprennent ce que signifie ce nouveau phénomène qu’est la propriété sociale et collective des moyens de communication. Il y a même eu des oppositions, mais notre Constitution instaure la démocratie participative et protagonique et affirme que les citoyens peuvent intervenir, amender les lois, décider, influer, ouvrir des espaces de discussions, etc.

Nous avons ainsi mené toute une discussion avec la CONATEL, la Commission nationale des Télécommunications. Pour mener ce débat, nous avons puisé dans l’expérience d’autres pays d’Amérique latine qui avaient connu un minimum d’expériences de développement de la communication communautaire. En Colombie, par exemple, un espace avait été ouvert, mais on y avait pas pris les garanties nécessaires permettant de viabiliser les médias communautaires. Du coup, on assista àun processus de commercialisation de ces derniers, beaucoup d’entre eux devenant des petites entreprises commerciales. Dans le cas du Chili, la législation sur les médias communautaires est en réalité une barrière qui empêche leur développement.

Nous avons ainsi mené une étude comparative des lois existantes ailleurs tout en systématisant notre propre expérience en tant que communicateurs sociaux. C’est de cette réflexion qu’est née une série de règles, comme celle de la distinction entre média et programmation, cette dernière étant assurée par des producteurs indépendants, c’est àdire par des habitants de la communauté eux-mêmes, qui ne sont pas les mêmes que ceux qui sont responsables du média. C’est une distinction qui peut sembler difficile àcomprendre mais elle s’explique de par la volonté de rupture avec le modèle d’information vertical prédominant dans les médias commerciaux.

Dans ce dernier cas, ce sont les propriétaires du média, ceux àqui on a octroyé une portion du bien public qu’est le spectre radio-électrique, qui décident seuls de toute la programmation de leur chaîne. Ils peuvent virer et remplacer qui ils veulent et décider seuls, et en fonction de leurs intérêts, du contenu des programmes qui sont pourtant susceptibles d’êtres regardés par tous. Il s’agit d’un monopole vertical de l’information par rapport auquel il fallait rompre en créant cette figure des producteurs indépendants.

On a également instauré la règle que la direction des équipes techniques qui assurent le travail d’émission ne pouvait être composée de membres dirigeants de partis politiques, d’organisations religieuses, d’églises ni de hauts fonctionnaires publics. Car, dans le cas contraire, il existe toujours la possibilité que les émissions soient manipulées par des intérêts distincts de ceux de la communauté. Il fallait garantir une programmation communautaire diverse, plurielle, réellement communautaire car faite par les gens eux-mêmes et ainsi réellement alternative.

De même, si l’on considère la communication comme un droit de l’Homme et comme notre Constitution est anti-néo-libérale - elle oblige l’État àgarantir la gratuité de la santé et de l’éducation pour tous - elle doit garantir l’accès àla communication en facilitant l’accès aux ressources nécessaires pour cela. La majorité des communautés n’a pas les ressources suffisantes pour investir dans du matériel qui est coà»teux, surtout dans le domaine de la télévision. On a donc inscrit dans le règlement la recherche de fonds pour appuyer les initiatives de communication communautaires. Il existe ainsi le FIDES, qui est un fonds alimenté par l’Etat central pour les Etats fédérés. Une partie des ressources de ce fonds peut être utilisée pour soutenir des expériences de médias communautaires dans chacune des régions du pays.

De même, afin de garantir aussi un caractère d’autofinancement, on a autorisé les médias communautaires àdiffuser de la publicité, mais uniquement en faveur de petites ou moyennes entreprises (coopératives, petits artisans, etc.) qui sont insérées dans la communauté. La publicité en faveur des grandes entreprises ou des magasins franchisés, voire des entreprises qui sont en contradiction avec la "ligne" générale des médias communautaires est quant àelle strictement interdite. Cette "ligne" est une orientation-cadre définie comme devant défendre les droits humains, les droits des femmes, de l’environnement et la protection de notre identité et de notre culture. Une entreprise dont les pratiques sont en contradiction avec ces préceptes ne peut pas diffuser sa publicité via les médias communautaires car les intérêts de ces derniers ne peuvent pas entrer en contradiction avec ceux de tous les citoyens.

Parmi ces préceptes nouveaux inscrits dans notre règlement, on peut aussi citer le fait que les télévisions communautaires ne peuvent être des institutions, des choses fermées, mais bien un processus continu et ouvert, un processus-école d’apprentissage permanent, d’intégration de nouveaux acteurs de la communauté, d’assistance, de formation. Un processus qui garantisse de manière permanente le fait que de plus en plus de personnes puissent participer au fait communicationnel. C’est làune manière de rompre avec le concept de "pouvoir médiatique" et de transformer les citoyens en acteurs de l’image et non plus en spectateurs. Une manière également de construire un nouvel imaginaire qui corresponde réellement avec le pays que nous voulons construire, basé sur une démocratie participative et protagonique.

Quels sont les moyens financiers des médias communautaires ?

Blanca : Il ne sont vraiment pas très élevés ! Nous aimerions qu’ils le soient, évidement, mais pour l’instant ils sont très faibles et nous travaillons avec très peu de moyens matériels.

Cependant, puisque nous avons obtenu dans la Constitution, comme c’est le cas pour la santé et l’éducation, l’obligation de l’Etat àsoutenir le développement d’initiatives de communication communautaire, dans le cas de Catia TVe, nous avons reçu un apport de la Commission nationale de la Culture afin de mener àbien l’assistance technique et la formation des producteurs indépendants.

Nous avons aussi reçu une contribution du Ministère des affaires sociales pour nous aider àacheter du matériel. Concrètement, il s’agissait d’un émetteur de 30 watts, ce qui ne nous permet pas de couvrir toute la zone. Mais c’est grâce àcette aide que nous avons pu commencer àémettre tous les jours depuis 2001, sauf pendant le coup d’Etat (d’avril 2002, NDLR).

Ces aides sont donc utiles mais insuffisantes. Elles nous ont ainsi permis d’acheter des bandes, mais beaucoup de matériel est perdu parce que nous sommes obligés d’utiliser et de réutiliser sans cesse les mêmes bandes, ce qui nous empêche d’avoir de bonnes archives. Nous pouvons travailler, mais avec nos propres ressources également, issues de la communauté elle-même, et avec celles tirées des publicités pour les coopératives, les artisans locaux (qui aident àleur tour l’économie locale) et les plans publics de santé et d’éducation.

Mais si cet équilibre des ressources est possible dans le cas de villes comme Caracas, dans celui de médias communautaires ruraux ou indigènes où l’économie locale est très réduite, l’intervention publique doit être plus importante. Tout cela ne concerne évidement que les nécessités techniques et matérielles puisque tout le travail qui est fait est entièrement bénévole.
Il n’y a pas d’émetteur national àtravers lequel les médias communautaires puissent émettre pour tout le pays, mais bien un réseau de médias locaux. Nous sommes également engagé dans la création d’un réseau latino-américain et d’un réseau mondial de communication communautaire. C’est làl’une des tâches et des défis des médias communautaires au Venezuela : faire comprendre que la communication doit se faire entre les peuples et non entre les grandes multinationales et les gouvernements.

LES FEMMES, MOTEUR DE CHANGEMENT

Catia TVe est en grande partie animée par des femmes. Comment expliquez-vous ce phénomène, que l’on constate aussi dans le processus de changements en général où les femmes jouent un rôle d’avant-garde ?

Blanca : Avec "l’ouragan révolutionnaire" comme l’appelait Simon Bolivar, nous n’avons pas encore eu beaucoup de temps pour systématiser en détail toutes nos expériences. Mais il est évident que les femmes constituent le moteur fondamental de ce processus.

Dans le cas de Catia TVe, cela peut s’expliquer par le fait que les femmes jouent un rôle capital dans la vie communautaire. Ce sont elles qui, dans la majorité des cas, organisent les comités d’habitants, qui s’impliquent le plus dans la défense du quartier et de ses réalités quotidiennes, avec ce qui passe dans l’école, avec les problèmes d’alimentation, etc. En Amérique latine, ce sont les femmes qui ont la vie la plus dure. C’est elles qui doivent garantir àleurs enfants de quoi manger et un toit pour dormir.

Les hommes sont beaucoup plus présents dans la lutte sur leur lieu de travail, dans le travail d’organisation des ouvriers, etc. Les femmes sont quant àelles confrontées àla tâche d’organisation de la collectivité dans leur quartier. Elles sont plus engagées dans la réflexion et l’action sur l’organisation de l’espace et l’établissement des règles nous permettant de vivre dans cet espace.

Je crois qu’àCatia TVe, ce furent elles les plus disciplinées, qui ont étudié dans les ateliers de formation de la manière la plus constante. C’est leur présence qui a aussi permis la participation de leurs enfants aux activités, àla formation. Traditionnellement, la femme latino-américaine défend et protège fermement son espace familial. Mais dans le contexte d’un processus révolutionnaire, l’espace familial s’est considérablement étendu, il englobe la communauté dans son ensemble.

LES MEDIAS COMMERCIAUX, MOTEURS DE LA DESTABILISATION

Le rôle des médias commerciaux pendant le coup d’État d’avril 2002 est assez bien connu. Ils ont joué un rôle d’avant garde. Quel fut par contre le rôle des médias communautaires au cours de ces événements et, par la suite, pendant le lock-out patronal et le sabotage pétrolier de décembre 2002-janvier 2003 ?

Blanca : Comme je l’ai dit, les médias communautaire ne sont pas des institutions. Ce sont des processus de changement du paradigme communicationnel du pays insérés dans le processus national de changements en cours. Cela veut dire que les médias communautaires on contribué àrompre avec ce mythe du "pouvoir médiatique".

Les gens sont aujourd’hui très irrévérent vis-à-vis de l’information qui provient des médias commerciaux. Et cela parce que les gens ont appris qu’il était possible de produire une autre image, que la vérité dépend toujours de qui tient en main la caméra. Cette compréhension fait que les gens ont une position beaucoup plus active : ils ne questionnent plus seulement l’information qui provient des médias, ils cherchent activement la vérité en essayant de devenir eux-mêmes une source d’information. Il est très facile aujourd’hui de trouver au Venezuela une ouvrière textile qui prend une caméra en main et qui tente d’enregistrer cette autre vérité, qui cherche une autre information parce qu’elle n’attend plus qu’on lui donne la vérité via la télé. Tout le monde se sent communicateur aujourd’hui.

Si la mouvance des médias communautaires a contribué àquelque chose, c’est bien àfaire comprendre qu’il était important de chercher d’autres manières de voir les choses et de lutter pour que cette information soit donnée. Pendant le coup d’Etat, les médias privés ont monté tout un show putschiste, avec des acteurs tels que des militaires, des dirigeants de syndicats maffieux ou les dirigeants de la confédération patronale. Mais derrières ces acteurs, ce sont les propriétaires de ces médias, liés aux grandes multinationales, qui tiraient les ficelles. Ils savaient àl’avance où placer leurs caméras car ils savaient très bien où allaient tomber les victimes et où étaient placés les francs-tireurs. Ils avaient tout monté eux-mêmes pour leur permettre de lancer une information qui permettrait de justifier le coup d’Etat aux yeux du monde.

Ce àquoi il n’avait pas pensé, c’est qu’il y avait d’autres personnes, avec des caméras, qui se sont retrouvées làet qui ont filmé cette autre vérité. Ce fait n’est pas àmettre au crédit de Teletambores, de CatiaTVeoude PanaFilm en particulier, c’est le fruit d’un état de conscience collectif de rupture avec lemodèle antérieurement dominant par rapport àla communication. Aujourd’hui, nous sommes tous des communicateurs. Cette conscience ne se limite pas aux gens de Catia TV ou d’autres médias, elle existe de manière généralisée dans la compréhension que nous avons tous et toutes de notre responsabilité non seulement de chercher notre information mais aussi de la communiquer.

Cela a été doublement important : primo, parce que cela a permis d’enregistrer une partie de cette réalité qu’ils voulaient totalement nier et, segundo, car cela a permis de constituer un réseau d’informations distinctes, alternatives, mais tout aussi fortes même si avec très peu de ressources.

Le 11 avril se met en place toute la machinerie du coup d’Etat. Les gens se sont rassemblés spontanément autour du Palais présidentiel de Miraflores afin de le défendre parce que le plan diffusé par les médias était limpide : diriger la marche de l’opposition vers le palais afin de renverser le gouvernement. Les gens des médias communautaires étaient donc eux aussi présents là-bas pour filmer ce rassemblement et cette défense de la Constitution par le peuple.

Le coup d’Etat du 11 avril a constitué un choc immense du fait des trahisons, parce qu’il comptait avec la participation de plusieurs généraux, etc. Mais le 12 avril commence alors un des processus de communication communautaire les plus importants dans l’histoire de l’humanité, au cours de ces dernières années. Les gens ont commencé àdevenir autant de canaux de communication : les "motorisés" (jeunes livreurs àmotos du secteur informel, NDLR), par exemple, allaient rapidement d’un quartier àun autre pour transmettre les informations sur ce qui était en train de se passer. Les téléphones mobiles se sont transformés en moyens de communication exceptionnels, surtout dans les quartiers les plus pauvres où le réseau de téléphone fixe n’existe pas. Les gens se regroupaient et achetaient àplusieurs des cartes de téléphone pour pouvoir communiquer toute la journée.

Ensuite, malgré l’absence de tout appel centralisé ou coordonné, s’est planifié un "cacerolazo" qui a permit, tout comme les tambours dans les villages, d’unifier toute la population dans la contestation du coup d’Etat. Les gens ont commencé tout aussi spontanément àse rassembler autour des sites politiques et militaires stratégiques, uniquement via le bouche àoreille, les téléphones mobiles, les va-et-vient des "motorisés" ou avec internet. Ce dernier moyen a aussi permis de faire diffuser àl’extérieur du pays la réalité de ce qui se passait. Il y avait une incroyable volonté, une conscience très forte de faire connaître au monde la vérité. Tout le travail mené le 12 a ensuite mené, le 13 avril, àl’extension des rassemblements populaires autour des chaînes de télévision afin d’exiger qu’elles diffusent les informations réelles au monde.

Il faut savoir également que l’un des rôles des médias privés pendant le coup d’Etat était un rôle policier : Ils couvraient complaisamment les arrestations de ministres chavistes, appelaient en direct àdénoncer les partisans du gouvernement. Ils voulaient empêcher tout processus de solidarité au sein du peuple, créer un climat de terreur pour que personne ne manifeste son désaccord avec le coup d’Etat. Mais comme les gens avaient une conscience très claire du rôle joué par ces médias, tout leur est retourné àla figure comme un boomerang. Au moment où ils ont commencé àdiffuser ces images, les gens sont au contraire sortis en masse dans les rues et avec encore plus de force pour réclamer le rétablissement de la constitutionnalité et exiger l’arrêt des opérations répressives.

Le rôle joué par les médias communautaires, aux yeux des putschistes, semblait être clé puisqu’en moins de 24 heures ils avaient organisés des perquisitions, des fouilles, des arrestations de compagnons, ils ont détruit du matériel, etc. Une télévision communautaire, située dans une école, àGayaricao, un autre quartier de Caracas , et qui n’a jamais émis par les ondes, a vu ses équipements détruits par les putschistes. Autrement dit, ils ont voulu immédiatement empêcher toute autre forme de communication.

Mais la communication communautaire ne se limite pas àune antenne, ni ne repose sur des instruments matériels technologiques particuliers, elle va beaucoup plus loin. Elle est liée àla conscience des gens et àleur participation active dans la communication. Elle n’est pas seulement un média, ni de la technologie - ce ne sont làque de simples instruments qui lui permettent de se renforcer. La communication communautaire c’est avant tout la rencontre humaine entre les personnes. Une rencontre qui n’est pas médiatisée par les intérêts de quelques personnes en particulier. C’est cette réalité qui entraîne la démystification du "pouvoir du média" : nous n’avons pas besoin de "super-médias" pour pouvoir communiquer.

Tout se résume àune rupture de la passivité vis-à-vis du fait informatif. Il y a une conscience claire de la nécessité d’être des protagonistes, car la communication est un élément essentiel de transformation de la société : communiquer pour nous organiser, pour nous coordonner, pour nous mobiliser, pour lutter... Dans le cas du Venezuela, cette prise de conscience s’est étandu au terrain de l’affectif : la protection et la défense du futur que nous voulons construire. Tout cela s’est communiqué dans la rue, dans le "cacerolazo", dans les larmes versées par les gens. Au moment où la mobilisation populaire était àson apogée durant le coup d’État, ce sont des compagnons des médias communautaires qui sont finalement parvenus àrestaurer le Canal 8 (la chaîne nationale publique, NDLR) grâce àl’aide des habitants du quartier qui se sont rassemblés au siège de la télévision et en ont chassé les putschistes.

Alvaro : Les médias communautaires ont depuis toujours été l’objet de fortes attaques de la part des médias commerciaux. Toute la puissance de ces médias et de leur alliés internationaux s’est acharnée ànous discréditer. Ils ont dit que c’était une invention du "castro-communisme", que l’on offrait des ateliers de formation au terrorisme, etc. Bref, une montagne de mensonges pour tenter inutilement de briser une dynamique qui, ils le comprennent très bien, porte directement atteinte au monopole des multinationales de la communication.

Pendant le lock-out patronal et le sabotage pétrolier de décembre et janvier derniers, des compagnons des médias communautaires ont été physiquement agressés par des policiers de l’opposition. En somme, l’importance de notre rôle est clairement reconnue par ces médias commerciaux et c’est pour cela qu’ils nous agressent.

DISCRÉDIT DES MÉDIAS COMMERCIAUX

Y a-t-il des campagnes de boycott des médias commerciaux ? Leur perte d’influence explique-t-elle les récents licenciements importants dans ces médias ?

Blanca : Oui, il y a eu des appels au boycott contre les activités terroristes les plus graves des médias privés. Mais, en ce moment, plutôt que de parler de boycott, il y a plutôt une situation de distanciation très grande entre les gens et ces médias. Ils ont tout simplement cessé d’être une référence importante pour l’immense majorité du peuple vénézuélien.

Les gens savent que ce qui sort de ces médias n’est que du mensonge. Il y a ainsi une distanciation parce que personne ne considère plus qu’ils puissent être une source, même minimale, d’information. Ils sont en fait devenus des partis politiques, mais de manière hypocrite. Si, au moins, ils avaient le courage de dire : « nous sommes d’ultra droite et voici nos idées  », àla limite on pourrait les regarder avec un minimum de considération. Mais ce n’est pas le cas. Ils prétendent au contraire être la "voix de tout le monde" alors qu’ils continuent ànier l’existence de la majorité sociale et de ses intérêts. Leur arrogance às’ériger en porte-parole et interprètes des besoins de tout un pays alors qu’ils sont àdes années-lumière des préoccupations du projet que nous sommes en train de construire a entraîné un rejet encore plus massif.

Il y a une autre dimension, essentielle, qui explique ce rejet : c’est le racisme ahurissant véhiculé par ces médias alors que notre population est majoritairement métissée ; d’origine afro-américaine, indigène ... Ces mêmes médias décrivent ces personnes comme des "hordes", des "singes", comme des gens "laids", "violents". Certains journaliste se sont demandés "comment font les chavistes pour choisir les gens qui participent àleurs manifestations au point qu’ils ressemblent tous àdes animaux ?".

Autre exemple, ce fut au moment où les restes symboliques de l’un des plus grands chef indien de notre histoire, Guaycaipuro, l’un des premiers et des plus déterminés résistants àla colonisation espagnole, ont été déposés au Panthéon national au cours d’une cérémonie officielle avec les représentants des communautés indigènes. Et cela dans un pays où les populations indiennes ont toujours été méprisées par les gouvernements successifs. Ces messieurs de médias commerciaux ont commenté cet événement comme étant une "pantalonnade ridicule", allant même jusqu’àdire que les Indiens présents àla cérémonie avaient été payés avec des bananes...

Autre cas caractéristique : celui du Ministre de l’Education du gouvernement Chávez, Aristobulo Isturiz, qui est, comme beaucoup de nos compatriotes, d’origine afro-américaine. Ces messieurs de la télé ont passé leur temps àdiscourir sur lui en disant : "Mais cet homme n’était pas aussi laid avant d’être chaviste ! Maintenant, depuis qu’il est dans le gouvernement, ses traits sont chaque fois plus animaliers, son aspect simiesque se fait sans cesse plus évident," etc. Comment voulez-vous que les gens du peuple regardent de telles émissions où ils sont agressés en permanence ?

Alvaro : Il faut ajouter que pendant la grève patronale de décembre 2002, les médias ont évidement été directement impliqués dans ce sabotage de l’économie qui a mené le pays au bord de la banqueroute. Ils espéraient, avec cette action, faire de nouveau tomber le gouvernement.

Mais, après deux mois de lock-out, ils ont dà» constater leur échec et surtout des pertes financières importantes, y compris pour eux-mêmes puisqu’ils avaient financé la promotion du sabotage. C’est pour cela que les propriétaires des médias privés ont commencé àlicencier de nombreux journalistes et travailleurs des médias.

Et par dessus le marché de manière illégale : en les mettant en "vacances anticipées" sans solde, en leur faisant résigner un contrat d’un an "et après on verra" ou en faisant directement pression sur eux pour qu’ils signent eux-mêmes leur démission !

Blanca : Pendant deux mois, il faut savoir que ces gens n’avaient plus aucune programmation « normale  ». Tout fut remplacé par une programmation d’incitation àla violence et àla terreur. A quelque moment que ce soit de la journée pendant ces deux mois, lorsque vous allumiez la télé, vous entendiez des appels àdes marches de l’opposition, etc.

Une bonne partie de leur programmation était consacrée aux "telenovelas" [feuilletons télés àl’eau de rose, NDRL], eh bien ils ont supprimé pendant deux mois ces feuilletons. Ils ont même éliminé pendant tout ce temps la publicité afin de donner une couverture et une promotion permanente au sabotage économique patronal.

Lorsqu’ils ont licencié tous ces journalistes, après l’échec de leur tentative de déstabilisation, ils ont promis aux journalistes mis àla porte : "Ne vous inquiétez pas, dès que ce gouvernement sera tombé, vous serez réengagés !" Beaucoup ont docilement accepté, ce qui montre àquel point le rôle du journaliste a été dénaturé par le monopole commercial de l’information. Le journaliste dépend totalement de l’argent que lui donne les propriétaires des médias et ces derniers sont pratiquement tous contrôlés par un seul groupe économique.

Il y a ainsi une dépendance permanente envers ce que pensent ou veulent ces messieurs. Pendant la grève patronale, plusieurs journalistes avaient déjàété licenciés, non pas parce qu’ils s’opposaient àcette grève, mais parce qu’ils ne voulaient pas en parler ! Dans le cas de certains journaux, que plus personne n’achète, le fait qu’ils continuent àse maintenir malgré leurs immenses pertes financières s’explique uniquement par l’appui financier qu’ils reçoivent de la part des multinationales.

Dans le cadre d’une économie capitaliste de libre marché tels qu’ils la défendent, ils auraient depuis longtemps disparus parce qu’ils ont tout bonnement perdu cette relation de dépendance lucrative dans laquelle ils maintenaient auparavant le "spectateur".

LES CLASSES MOYENNES DIVISÉES

Au sein des classes populaires majoritaires, il y a donc un phénomène de distanciation important. Mais qu’en est-il par rapport aux classes moyennes, qui constituent la base sociale des putschistes ? Y a-t-il un même processus de distanciation en cours ? Est-ce qu’il y a un travail de communication alternatif en direction et/ou au sein même de cette classe moyenne ?

Blanca : Il y a toujours un secteur des classes moyennes qui est profondément aliéné par ces médias privés. Il s’agit d’un secteur très particulier, marqué par une culture très raciste. La distanciation dans leur cas s’opère plutôt àl’égard de la majorité des autres Vénézuéliens tant ils ont été formés par un idéal de vie nord-américain. Ce sont des gens qui disent ouvertement qu’ils préfèrent une invasion du pays par les Etats-Unis que de continuer àsubir un gouvernement dirigé par un "negro".

Ces secteurs ne changent pas. Ils manifestent en brandissant le drapeau US. Ce sont des secteurs d’extrême droite qui utilisent des drapeau noirs, s’habillent en noir. Leurs campagnes sont profondément racistes et paranoïaques. Ils vivent cloîtrés dans leurs beaux quartiers où ils se sont pratiquement retranchés de peur d’une invasion des "hordes" chavistes. On leur a appliqué un tel lavage de cerveau qu’on pourrait comparer leur haine avec celle que certains secteurs des classes moyennes allemandes ressentaient àl’égard des Juifs. Ils sont littéralement enragés.

Mais ces secteurs sont heureusement minoritaires. Les classes moyennes en général sont très divisées. Il y a un secteur très minoritaire qui est authentiquement fasciste. Un autre, tout en étant très sensible àla campagne médiatique anti-chaviste, n’est pas du tout d’accord avec les méthodes violentes du premier. Et puis, récemment, s’est constitué un mouvement des classes moyennes en faveur du processus populaire qui s’appelle "Clase media en positivo" ("Classe en moyenne en positif", NDLR).

Ce mouvement a été lancé par des gens qui auparavant n’osaient pas parler ni exprimer ouvertement leur sympathies dans leur milieu social. Le climat de terreur était tel que très peu d’entre eux s’exposaient àêtre traités dans leur quartier de "horde", que leurs voisins arrêtent de leur parler, que leur enfants ne puissent plus aller àl’école parce qu’ils étaient "chavistes", etc. Pendant le coup d’Etat, beaucoup de gens des classes moyennes ont changé de position car ils ont vu le vrai visage de l’opposition fasciste qui a supprimé, le 12 avril, l’Assemblée nationale, la Cour Suprême de Justice, etc. Ils ont vu comment les forces répressives de l’opposition sont venues arrêter chez lui quelqu’un comme Tarek William, un député chaviste qui est depuis toujours un défenseur des droits de l’Homme et un poète reconnu et apprécié.

Ainsi, certains qui étaient contre le processus au début sont aujourd’hui pour ce dernier. Et d’autres qui étaient neutres ou n’osaient pas l’affirmer, le font aujourd’hui ouvertement. Beaucoup d’autres encore, sans être en faveur de Chávez pour autant, s’opposent par contre fermement au secteur fasciste de l’opposition. Bref, la propagande et les attitudes éhontées des médias ont finalement été contre-productives parce que, outre les classes populaires, des secteurs des classes moyennes ont également pris leurs distances àleur égard.

Mais il ne faut pour autant pas sous-estimer leur pouvoir de nuisance, ce qui rend absolument nécessaire l’adoption d’une loi de responsabilité sociale des moyens de communications qui permettent aux citoyens de se défendre contre les agressions dont il sont victimes de la part des médias privés. Ils gardent un certain pouvoir aussi parce que, du côté du gouvernement, il y a une certaine faiblesse dans le travail communicationnel.


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Cette interview a été réalisée le 5 mai 2003 àBruxelles par Frédéric Lévêque et Ataulfo Riera, membres du Collectif ’Venezuela 13 Avril’. Retranscription & traduction : Ataulfo Riera.

Vous pouvez l’écouter en espagnol et en audio àcette adresse.

Site web de Catia TVe : www.catiatve.org.ve.

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du Réseau d'Information et de Solidarité avec l'Amérique Latine (RISAL).